« Fraise et chocolat » lundi 29 janvier 20h30 en partenariat avec Objectif Suds

Juan Carlos Tabio et Tomas Gutierrez Alea (1993) Cuba 1h51 avec Jorge Perugorria, Vladimir Cruz, Mirta Ibarra

David suite à une déception amoureuse erre dans La Havane et rencontre Diego, tout les oppose, arriveront-ils à se comprendre ?

drôle, tendre, critique, lucide et néanmoins joyeux

il nous brosse un tableau qui aborde par le biais de la comédie une multitude de sujets pas si faciles : de la place de l’intellectuel et de l’artiste à celle des homosexuels, de l’enthousiasme de la jeunesse pour la révolution au désenchantement de la génération précédente, de la place de la religion à la foi dans les principes établis, Tomas Gutierrez Alea rebat les cartes de son engagement politique en mettant en avant toute la diversité – et les contradictions – de la société cubaine. Un vrai régal.

 C’est la découverte en images voulues, désirées, d’un univers que l’on ne connaît souvent que par les miroirs réciproquement déformants des discours militants. C’est le portrait d’une ville, d’un peuple extraordinairement attachants. En bref, c’est un signe que le vieux pouvoir du cinéma – montrer le monde – n’est pas tout à fait mort. (T. Sotinel, Le Monde)

Le film prend au départ les atours d’une plaisante comédie de mœurs mâtinée d’un discours prônant la tolérance et l’acceptation des différences. Cependant, s’arrêter à ce premier constat ne serait pas rendre justice au travail de Tomás Gutiérrez Alea (cinéaste « officiel » du régime à qui l’on doit le très beau Mémoires du sous-développement sorti en 1968) car sous ses airs de film léger, Fraise et Chocolat offre un écho passionnant à la crise politique que traversait Cuba au début des années 1990. Isolée sur le plan économique depuis la chute du bloc communiste, contrainte de s’ouvrir au tourisme pour faire rentrer des devises, l’île voit la nécessité d’adoucir son image de dictature intransigeante
(Critikat)

A l’aspect initiatique du film se mêle un volet politique où pointe le discours critique du réalisateur sur le modèle cubain. Fraise et Chocolat est une réflexion sur l’identité cubaine à partir d’une rencontre et confrontation idéologique entre un militant des jeunesses communistes et un artiste en disgrâce. Les idéaux communistes peuvent-ils s’accommoder d’un espace de liberté où chacun peut être celui qu’il veut ? Le matérialisme dialectique peut-il souffrir les pratiques religieuses, voire la spiritualité ésotérique qui s’exprime dans les croyances populaires ? Tomas Gutierrez Alea choisit la voie de la contestation politique par l’humour, sans perdre de vue le sérieux de son sujet et non sans une certaine ambiguïté qui témoigne des conflits qui tiraillent le réalisateur aux lendemains de la chute du mur de Berlin. (culturopoing)

Tomas Gutierrez Alea

Né le 11 décembre 1928 dans une famille aisée de La Havane,il a très précocement découvert le marxisme et les joies du cinéma amateur en 8mm. Délaissant ses études de droit, il suit pendant deux ans les cours de cinéma du Centre expérimental de Rome, aborde une activité semi-professionnelle dès l’orée des années 50 et participe, après la chute de Batista, à la création de l’Icaic (Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique). Après des débuts documentaires (Esta tierra nuestra, en 1959), il prend son essor avec Historias de la revolucion (1961), les Douze Chaises (1962) et Cumbite (1964). En 1966, il atteint son registre dans la Mort d’un bureaucrate, satire féroce des petits cadres staliniens. Avec Mémoires du sous-développement, deux ans plus tard, il développe une réflexion originale sur le malaise intellectuel d’une société postrévolutionnaire. Il affirme un ton singulier, porteur de critique interne, qui assied sa réputation internationale.

Dans les vingt-cinq années qui vont suivre, il ne tournera pourtant que cinq autres films. D’Une bataille cubaine contre les démons, en 1971, à Cartas del parque, en 1989, en passant par la Dernière Cène, en 1977, les Survivants, en 1978, et Jusqu’à un certain point, en 1984, il oscille entre évocations historiques et analyses contemporaines, sans trouver parfaitement son assise. Personnalité complexe, difficile, discutée, pas tout à fait dans le moule, mais néanmoins dans les cadres, Gutierrez Alea était un auteur mal à l’aise.

Les aspects dénonciateurs de Fraise et chocolat (sur la répression des homosexuels mais aussi sur la pénurie économique ou la destruction de La Havane) ne le dédouaneront pas aux yeux de tous: à la sortie du film, Guillermo Cabrera Infante, en particulier, rappellera de façon retentissante les dénis que Gutierrez Alea avait opposés dans le passé à la question de la persécution des homosexuels à Cuba, ainsi que ses prises de position propagandistes et insultantes contre Nestor Almendros et Alfredo Areinas, auteurs d’un documentaire: « Mauvaise conduite » en 1983 où 28 intellectuels et personnalités de la culture cubaine en exil sont interviewés pour démontrer l’existence de camps de concentration pour les gays à Cuba.

Très malade, opéré aux Etats-Unis et longuement hospitalisé, c’est grâce à Carlos Tabio (qui avait été son scénariste sur Jusqu’à un certain point) que Tomas Gutierrez Alea avait pu guider le tournage de Fresa y chocolate… depuis son lit. Assumant la direction des opérations sur le plateau, Tabio avait accepté la même collaboration sur Guantanamera: tournée en 1995 , cette dernière comédie ironise macabrement sur les tracasseries administratives rencontrées par un convoi funéraire. C’est le dernier salut à la galerie de Tomas Gutierrez Alea. Libération