Alain Ughetto (2023) France 1h10 Avec les vois de Ariane Ascaride, Alain Ughetto
Luigi (le grand père du réalisateur) vit pauvrement dans un village du Piémont italien qu’il quitte pour trouver du travail en Suisse, puis en France, où le suivront Cesira, sa femme, et leurs enfants. ……
un film étonnant, drôle, bouleversant, hyper-créatif

À travers les outils d’animation à sa disposition, Ughetto vise par endroits une forme d’étrangeté composite qui, au-delà de son aspect souvent comique, interroge l’élasticité même des souvenirs. Les décors, construits à partir de matériaux réels (du charbon, du sucre, des légumes divers, etc.), participent à façonner un univers hétérogène raccord avec l’entremêlement des trajectoires narratives du récit. La pluralité des formes devient alors un terrain de jeu allant à rebours de toute représentation réaliste, au sein duquel l’imagination s’affirme comme le moteur d’une certaine déréalisation des images. Alain Ughetto envisage l’animation comme un laboratoire au sein duquel expérimenter, par l’image, un décalage entre le réel et ce que l’on en retient. Étienne Cimetière-Cano
Dès le pré-générique, on est saisi par le charme irrésistible, intemporel, de ce drôle de film conçu, bricolé, filmé et animé à la main par Alain Ughetto en « stop motion » (technique d’animation qui consiste à déplacer et faire bouger imperceptiblement, plan par plan, des figurines pour leur donner vie à l’image). Un des atouts irrésistibles d’Interdit aux chiens et aux Italiens, c’est ce côté artisanal, son utilisation de petits riens bricolés qui lui donnent toute sa poésie…….
À l’heure où l’Italie renoue avec ses démons nationalistes et où l’Europe se barricade, Interdit aux chiens et aux Italiens est dédié à toutes les familles contraintes à l’exil et sonne comme un rappel poétique et humaniste aux leçons de l’Histoire – qui a malheureusement une furieuse tendance à hoqueter.utopia
Le réalisateur

Alain Ughetto né en 1950 a hérité de son père et de son grand-père un goût prononcé pour le bricolage qu’il infuse dans son cinéma par l’animation. En 1985, Alain Resnais lui remet le César du meilleur court-métrage d’animation pour La Boule. En 2013, il réalise Jasmine, son premier long-métrage d’animation où se joue son histoire d’amour dans le tumulte de Téhéran à la fin des années 1970. Interdit aux chiens et aux italiens a remporté le Prix du Jury au Festival International du Film d’Animation d’Annecy en juin dernier.
L’interview
A partir de quel moment vous êtes-vous interrogé sur l’histoire de vos grands-parents ?
Dès ma jeunesse, j’ai capté des bribes d’une histoire que pourtant tout le monde s’attachait à gommer. Je n’ai pas connu mon grand-père Luigi mais j’ai connu ma grand-mère Cesira jusqu’à l’âge de 12 ans. Cependant, elle avait tellement œuvré à devenir plus française que les Français, qu’elle ne m’a jamais rien raconté de son passé italien. Or, je m’appelle Ughetto. Une anecdote, à ce propos : j’avais 11 ans quand un copain m’a dit un jour « va voir au cinéma, il y a un film sur toi ». Le film s’appelait Le Temps du ghetto [de Frédéric Rossif (1961)]. Je n’ai pas pu le voir, car il était interdit aux moins de 16 ans, mais je me demandais pourquoi ils avaient fait une telle erreur sur mon nom. C’est dire combien cette question me travaillait ! Puis, durant mes études, j’ai toujours choisi en option des matières ayant trait au cinéma italien.
Comment avez-vous composé le récit qu’elle fait de votre histoire familiale ? Quelle est la part de vos propres souvenirs, de ce que vous avez pu aller chercher dans les livres, les films, dans le récit des autres ?
J’avais 12 ans quand ma grand-mère est morte. J’ai ce souvenir d’elle qui prenait la croute du fromage, le retournait sur le four pour la faire griller et m’appelait pour me la donner. Un souvenir d’élégance et de générosité que j’ai gardé en tête tout au long du film.
Pendant mon enquête, je me suis surtout intéressé à la mémoire orale. J’ai d’abord demandé les témoignages des gens qui ont connu ma grand-mère et mon grand-père. Ça a alimenté toute la fin du film. Et puis j’ai découvert le travail d’un sociologue Nuto Revelli et son livre « Le monde des vaincus », qui parle de paysans de l’âge de mes grands-parents qui ont vécu au même endroit. Ça a été une source d’informations importante. Et puis, il y a les archives.
Je me suis aperçu que ma famille a traversé trois guerres, une pandémie qui a fait plus de morts que la guerre [NDLR : la grippe espagnole] et ils sont restés debout, dignes et fiers. Je ne voulais pas faire un film plombant. Il y a des morts, des naissances. C’est la vie.
À travers ce film vous racontez plus que l’histoire de votre famille, celle des immigrés italiens, de l’histoire européenne de la première moitié du 20e siècle. Aviez-vous la volonté de faire de l’intime une histoire universelle ?
Ma grand-mère a fait 11 enfants, il y avait 15 familles comme la sienne à Ugheterra, ça fait déjà 150 personnes : je savais que j’allais faire une histoire universelle ! Ce qui me touche dans les projections c’est de voir des jeunes femmes et des jeunes hommes venir avec leur grand-mère, leur grand-père, et voir leur émotion. C’est très fort.