Maryam Touzani (2023) Maroc 2h02Avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui
Halim est marié à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec un secret…,
Tout est juste, élégant, nuancé.
Voilà un film d’une subtilité et d’une délicatesse rarement égalées sur un sujet qui aurait pu prêter à tous les clichés, à toutes les outrances, à tous les préjugés faciles… Un sujet qui ne se dévoile d’ailleurs pas dans les premières séquences, qui s’imposera doucement, au fil du récit……On retrouve, dans la manière dont le très beau film de Maryam Touzani aborde l’homosexualité dans une société de culture musulmane, la même délicatesse, la même intelligence, la même liberté de ton que dans Joyland, le film pakistanais de Saim Sadiq, tout récemment plébiscité par les spectateurs.
Mais Le Bleu du caftan séduit aussi par sa mise en scène, qui joue merveilleusement des espaces et des couleurs, couleurs éclatantes des tissus, ocres estompés des espaces étroits de l’intimité. Et le parallèle entre la proximité des corps et le travail des tissus, magnifiques, doux comme une caresse, crée une ambiance d’une belle et sereine sensualité. Utopia
Halim est un artisan tailleur de très grande qualité, considéré comme un « mâalem », un maître, dans son métier. Sa spécialité, ce sont les caftans, ces tuniques longues richement brodées qui sont portées par les femmes marocaines lors des cérémonies telles que mariages ou fêtes religieuses. Il y a toutefois caftan et caftan ! Il y a ceux qui sont confectionnés amoureusement à la main par des « mâalems » comme Halim, des caftans qui se transmettent de mère à fille, des caftans qui, 50 ans après leur confection, sont toujours aussi splendides. Et puis il y a ceux qui sont confectionnés à la machine : c’est plus rapide, cela coute moins cher à l’achat, mais, bien entendu, la qualité n’est pas la même. Pour les artisans, la concurrence des machines est difficile. Difficile aussi de trouver des apprentis et d’avoir le temps de les former……
Après Adam, Le bleu du caftan prouve à nouveau le grand talent de Maryam Touzani, une réalisatrice experte dans l’art de l’utilisation des non-dits, une réalisatrice qui sait générer une émotion exempte de tout pathos, exempte de toute lourdeur. Un magnifique trio d’interprètes et une excellente directrice de la photographie viennent ajouter leurs qualités à celles de la réalisatrice et contribuent à faire de cet hymne à l’amour, à la beauté du métier d’artisan et à la liberté qu’est Le bleu du caftan, sélectionné à Un Certain Regard lors de Cannes 2022. .Jean-Jacques Corrio
La réalisatrice
Réalisatrice, scénariste et actrice marocaine, Maryam Touzani née en 1980 à Tanger débute sa carrière dans le journalisme cinéma. Au début des années 2000, elle devient scénariste et réalisatrice de courts et de documentaires.
Elle participe à l’écriture du scénario de Much Loved (Ayouch, 2015) qui fait un scandale en abordant de front le problème de la prostitution au Maroc. Compagne du réalisateur Nabil Ayouch, elle accepte de jouer dans son film Razzia (2017). Celui-ci lui rend la politesse en coproduisant son tout premier long-métrage de fiction en tant que réalisatrice, le superbe Adam (2019), Le bleu du caftan est son second long métrage
L’interview
D’où vous est venue l’envie de raconter l’histoire du « Bleu du Caftan » ?
Maryam Touzani : Le déclic a été une rencontre que j’ai faite pendant les repérages de mon précédent film, Adam. C’est un monsieur d’un certain âge, que j’avais rencontré dans la Médina, qui m’avait beaucoup touché. Je sentais qu’il y avait, quelque part, une vie qui n’était pas celle de son quotidien. Je l’ai senti de manière assez forte. Peut-être que je me suis trompé, je ne sais pas, mais je ne lui ai jamais posé de questions sur sa vie intime pour autant. Je savais que ce n’était pas ma place, mais je suis quand même allé le rencontrer à plusieurs reprises parce qu’il me touchait. Plus tard je me suis rendu compte qu’il me ramenait à mon enfance, à mon adolescence à Tanger, à des histoires que je voyais de l’extérieur. Notamment des couples mariés pour garder une certaine façade sociale, dont le mari était homosexuel mais qui essayait tout de même de rentrer dans le moule, avec des enfants et le reste. C’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup touché. Mais je ne sais rien de son histoire à lui, il a simplement réveillé ces émotions en moi. Ça m’a amené quelque part dans mon imagination, dans mon ressenti, et je me suis rendu compte de la violence inouïe que c’est de devoir faire semblant tous les jours, de devoir se réveiller, s’habiller, sortir dans la rue, et faire face aux gens tout en prétendant être quelqu’un qu’on n’est pas. Par la suite j’ai commencé à imaginer le personnage d’Halim, à le ressentir plus qu’autre chose. Mina a naturellement émergée dans mon esprit par la suite. Cette femme, ce qu’elle pouvait ressentir, ce qu’elle savait ou ne savait pas, ce qu’elle taisait, ses non-dits…. Je me suis retrouvée à penser à l’amour, à la complexité de l’amour, des relations, au fait qu’on ait toujours envie de tout simplifier, alors que souvent la complexité c’est beau.
C’était une évidence pour vous de proposer le rôle de Mina à Lubna Azabal, après « Adam », votre premier film, dans lequel elle jouait déjà ?
Directement. J’ai écrit avec Lubna en tête. Je savais qu’elle allait être Mina. Je ne lui ai pas du tout parlé du film ni du scénario. Je l’ai écrit et une fois terminé je lui ai envoyé et elle est tombée amoureuse du personnage. Mais dès le début je savais que c’était elle. J’avais travaillé avec elle sur Adam et je savais de quoi elle était faite. Elle donne tout quand elle croit en un personnage, elle est dans une quête de vérité, pas dans la demi-mesure, exigeante, vraie… On est très alignées sur tout ça. Ça a été très beau de travailler avec elle sur ce personnage très intense, très complexe. Pour ce qu’elle vit avec son mari, dans son couple, mais aussi son rapport à la mort, la façon dont elle va s’affaiblir petit à petit, cette mort qui va s’installer dans son corps. Elle a fait un extraordinaire travail sur ça. Elle me disait elle-même : « Je veux ressentir la mort dans mon corps, je ne veux pas faire semblant. Je veux arriver sur le plateau en étant faible, le ressentir au quotidien ». Ça correspondait parfaitement avec ma façon de tourner les scènes de manière chronologique, pour respecter l’évolution émotionnelle des personnages, dans la mesure du possible. J’adore faire ça, et avec Mina il y avait aussi sa chronologie physique.