« Le Père de Nafi » lundi 30 janvier 21h en partenariat avec Sud Objectif

de Mamadou Dia ( 1 h 47 ) 2021 Sénégal  Avec Saikou LoAlassane SyPenda Daly Sy

Nafi et Tokara, jeunes d’aujourd’hui, devraient  se marier et partir étudier à Dakar, leurs pères, deux frères que tout oppose, s’affrontent sur fond d’extrémisme et d’enjeux de pouvoir.

Entre désir d’émancipation et enjeux de pouvoir, une tragédie au message brûlant

Ce qui frappe dans Le Père de Nafi, c’est son rythme. Il n’est pas lent. Il ne prend pas le temps, il s’en saisit : il est mesuré, profond, interrogateur, à l’image des regards de Tierno, imam et père de Nafi. Parce que c’est le temps qui à la fois nous manque et nous obsède, pour conjurer, au Sénégal comme ailleurs, par des voies pacifiques, la terrible montée de l’obscurantisme.

Voici donc que se superposent les liens familiaux, la religion, la politique, l’argent, l’amour, l’intégrisme mais aussi la mort qui rampe. Cela pourrait donner une salade trop pleine si de puissants fils conducteurs ne venaient éclairer le chemin. Chaque personnage développe peu à peu sa singularité, à commencer par le personnage de Tierno, central dans le film comme dans le titre qui met en exergue sa paternité, laquelle dépasse sa seule fille puisqu’il veille sur l’avenir de sa communauté. Il est interprété par Alassane Sy au jeu réservé. Cette épure appuie le regard pénétrant qu’il porte sur ceux qui trahissent les valeurs qu’il défend.

On peut voir dans Le Père de Nafi un honnête exercice pour alerter contre l’intolérance, mais il dépasse largement la bonne intention. Tout d’abord parce qu’il répond adroitement à ceux qui assimlent l’islam au terrorisme et conduisent tout musulman à devoir sans cesse s’expliquer. Face au Djihadiste qui défend « le vrai islam », Tierno demande si cet islam fait davantage que les cinq prières, l’aumône, les ablutions, etc., désarçonnant toute hiérarchisation. Ensuite parce qu’il pose sans détours à la fois le poids et les vertus de la structure familiale, si structurante en culture africaine. Cette approche contradictoire a le mérite d’interroger et de valoriser sans idéaliser. Enfin parce qu’il éclaire les bases sociales de la progression de l’intégrisme, alors même que la paysannerie souffre sans que les représentants de l’Etat et les élus ne s’en soucient, inconscients du danger insidieux qui menace les communautés villageoises. De plus, il met en exergue le matriarcat discret qui tente de préserver l’unité des familles.

Mamadou Dia

Réalisateur, scénariste et producteur sénégalais, est né à Matam, au nord-est du pays. Après des études de géographie physique au Sénégal, une année au Média Centre de Dakar, une expérience en tant que free lance en vidéo journalisme, il part aux Etats Unis pour suivre un master en film.
Il réalise ensuite une série de courts métrages remarqués dans différents festivals. Le père de Nafi est son premier long métrage. Il remporte le Léopold d’or à Locarno
.

Paroles du réalisateur :

La mainmise terroriste sur un village sénégalais est-elle possible ? Telle est l’interrogation qui parcourt le récit. Et à cela Mamadou Dia le réalisateur répond : « Non, en tout cas pas encore. Mais dans mon travail de journaliste, j’ai vu des situations similaires. Je suis allé à Tombouctou à plusieurs reprises, je suis allé aussi au Nigeria. Quand la crise a commencé au Mali, j’étais vraiment surpris, il n’y a pas plus pacifiques que les Maliens. Je généralise bien sûr mais c’est un peuple d’une douceur extraordinaire, comment l’islamisme peut-il s’installer au Mali ? Au Sénégal, l’opinion partagée est que pareille dérive est impossible. C’est ce que le maire dit à Tierno : “Nous sommes en république quand même !” Mais rien ne prouve que ça ne puisse pas arriver dans mon pays. Je crois que c’était important de poser le débat chez moi avec ma propre langue, avec les gens de ma région. »

 « Le film ne donne pas de leçon, nous indique le réalisateur, il n’offre pas de solution, mais il dit que ce que l’on a de plus cher dans cette société, c’est la cellule familiale, la famille qui soutient chacun de ses membres. Au Sénégal, la cellule familiale fait plus que l’État. L’argent que les Sénégalais partis à l’étranger envoient à leur famille est supérieur au PIB. L’extrémisme commencera par s’attaquer à la famille. Il faut comprendre qu’aucun des extrémistes du film n’agit réellement par foi. Ils utilisent la religion comme un levier de pouvoir mais ce sont surtout des personnes mal intentionnées qui veulent prendre le contrôle d’une ville pour leur intérêt personnel. Et ici, il s’agit d’un règlement de comptes entre frères : Ousmane veut être plus puissant que son frère Tierno qui a la mainmise sur la ville. »