Tiago Guedes (2022) Pörtugal 2h07 avec Nuno Lopes, Albano Jerónimo
Dans un village, au nord du Portugal , Laureano retrouve ses agresseurs, 25 ans plus tard alors qu’il vit en marge de la communauté. Un soir le passé remonte à la surface…
La beauté des images participe d’un film à l’inquiétante étrangeté, aux limites du fantastique
Karl Marx aurait dit : “l’histoire ne se répète pas, elle bégaye”, et c’est comme si, dans Traces, un dieu cruel venait reposer le bras de son électrophone dans le premier sillon d’un vinyle pour que se rejoue le même air qu’il y a un quart de siècle. C’est cette histoire que raconte Traces, qui rappelle (avec une autre forme, qui repose moins sur le suspense) As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, avec un ton plus mythologique, plus religieux presque.
Parce qu’il est question ici d’images culturelles hélas bien connues, de victime expiatoire, de bouc émissaire, de sacrifice, de vengeance, de trahison et d’honneur. Un film très noir qui ne donne sa chance à aucun être humain, pas même aux femmes, complices de traditions stupides, dramatiques, sanglantes inventées par les hommes, mais qu’elles ne remettent jamais en cause. Les Inrocks
Traces demeure un drame sensible et puissant. Le spectateur est emporté par la tragédie qui se joue entre les personnages. Chaque douleur est légitime, amenant certains protagonistes à se sacrifier pour rompre le cauchemar de leur condition de femmes et d’hommes. Évidemment, comme dans la vraie vie, ce sont les plus vulnérables, les plus dominés qui doivent se soumettre à la violence et à la justice populaire des hommes. La lâcheté affleure au milieu de la bonté et prend hélas le pouvoir. En ce sens, Traces constitue un véritable objet ethnographique. Il raconte une société rurale dans le pire et le meilleur qu’elle peut proposer. Tiago Guedes ne juge pas pour autant. La mise en scène se veut dépouillée, brute, elle va au cœur des problématiques culturelles et sociales qui s’imposent.
Traces risque de rester au statut du film confidentiel. Dommage car c’est une œuvre dense, très bien écrite, qui témoigne avec vergogne des contradictions de nos sociétés contemporaines. Olivier De Bruyn
Le réalisateur
Tiago Guedes est né à Porto en 1971. Il est diplômé en réalisation à la New York Film Academy, Il a développé plusieurs projets, pour la télévision des séries dont la remarquable: « Le Domaine », au théâtre il a mis en scène entre autres des pièces de Peter Handke, au cinéma « Traces » est son cinquième long , un sixième est en préparation, une adaptation d’un ouvrage de Cesare Pavese
L’interview de Tiago Guedes
Traces se déroule dans un lieu délimité. Est-ce un microcosme pour montrer le monde, du particulier au général ?
C’est le côté particulier qui m’intéresse. Je pense qu’il est utile de réfléchir à cette partie là. On évalue les personnages et, à partir de là, on dérive vers le général. C’était intuitif et non intentionnel : j’aime les petits espaces, les familles, les éléments de l’intime, qui nous permettent de voir les gens de l’intérieur.
L’idée est-elle de faire un portrait social ?
Dans ce cas ce n’est pas l’objectif. On en arrive là, car lorsqu’on parle du passé, des traditions, on parle d’une forme de culture et d’une façon de voir le monde qui a peut-être empoisonné l’évolution des gens et qui doit être repensée. Il y a une critique implicite, mais elle ne concerne pas particulièrement ce village. Le fait est que, dans ces petites communautés, nous pouvons mieux comprendre ces questions. Dans Traces, je voulais essentiellement parler de la manière dont la société n’accepte pas la différence. Le point de départ du film est une histoire vraie, que j’ai ensuite développée avec Tiago Rodrigues.
Pensez-vous qu’il s’agit d’un film sur un certain Portugal primitif ?
Oui, dans un certain sens. Il s’agit de la manière dont, en tant qu’être humain, nous n’évoluons pas dans notre réflexion, perpétuant certaines formes de violence et de maltraitance des forts à l’encontre des faibles. Ce qui est certain, c’est que toutes les traditions de ce genre ont en commun une forme de pouvoir sur d’autres êtres humains, à savoir ici sur les femmes. C’est de là que vient la masculinité toxique dont traite le film.
Vous vous intéressez donc de plus en plus aux plans séquences ?
Il n’est pas obligatoire d’avoir un long plan dans un sens presque démonstratif, mais je m’intéresse à ce temps que les longs plans peuvent apporter et à la manière dont ils obligent l’acteur. L’acteur doit toujours être présent – il peut écouter, il peut faire… rien, mais il doit être là. J’aime cette écoute qui est obtenue quand on laisse la caméra tourner plus longtemps, au lieu de se contenter d’enregistrer le temps des répliques. Et cela se poursuit au montage : j’ai tendance à laisser les plans durer un peu plus longtemps.
Il existe un vieux cliché, évidemment empreint de préjugés, qui dit que le cinéma portugais est “lent”…
Le cinéma portugais est si diversifié qu’il est difficile de le cataloguer ainsi, mais il est vrai que ce préjugé existe. Je l’ai eu moi-même lorsque j’étais encore un jeune étudiant, aspirant à faire quelque chose dans le cinéma. Maintenant, je suis fatigué de l’excès de rapidité dans les prises de vue. À notre époque, nous sommes envahis d’images dans lesquelles la pensée disparaît, surpollués par le côté visuel du cinéma. J’apprécie également ça, mais j’ai besoin de ce temps… J’en ai besoin, non : j’aime ça.