Ciné-classic: »Les camarades »lundi 5 février 20h30

Mario Monicelli France / Italie / – 1963 – 2h10 – Avec Marcello Mastroianni, Renato Salvatori, Annie Girardot, Folco Lulli, Bernard Blier, Rafaella Carrá, François Périer

Turin, à l’aube du XXem siècle. Dans une fabrique textile, trois ouvriers entrent en conflit avec le contremaître. Alors que des sanctions tombent, l’instituteur Sinigaglia, un militant socialiste fraîchement arrivé de Gênes, pousse les travailleurs à s’organiser.

Immense film servi par des acteurs parmi les meilleurs de leur temps

Les Camarades frappe d’abord par la vision antiromantique de la classe ouvrière, caractérisée plutôt par sa trivialité intempestive. Attroupement bigarré de physionomies disparates (gros, petits, grands, maigres, cabossés, fripés, mutilés), le prolétariat de Monicelli gueule, éructe, se montre sale ou grossier, parfois raciste ou libidineux (Raoul, joué par Renato Salvatori, qui lutine toutes les jeunes femmes du quartier). Dans le noir et blanc râpeux et hypercontrasté du grand chef opérateur Giuseppe Rotunno, le film échappe à toute forme d’idéalisation, au profit d’un prosaïsme rêche, qui prend parfois des allures de cauchemar (l’univers sombre et inquiétant de l’usine). Le Monde

Le scénario s’inspire d’évènements qui secouèrent l’Italie du Nord en pleine industrialisation. Cette grève du textile à Turin, très dure, très violente, fut la première dans le pays. Monicelli décrit avec une grande vigueur humaniste et lyrisme une classe ouvrière qui cherche à vivre et travailler dignement. Les portraits de cette petite société sont à la fois vrais et pittoresques ainsi du militaire qui les aide, de l’adolescent illettré, de l’amoureux célibataire ou de la jeune femme qui a quitté la pauvreté pour vendre ses charmes. Du migrant sicilien méprisé au père de famille râleur, chacun est admirablement incarné.

C’est avec les patrons que le cinéaste est le plus dur, mépris de classe (la propriétaire de l’usine est ignoble), condescendance pour les pauvres et appât du gain sont leur unique façon de vivre. Le film n’est pas, pour autant, un acte de propagande. Monicelli n’est pas tendre non plus avec l’agitateur en chef que joue Marcello Mastroianni, personnage jusqu’au-boutiste qui jette de l’huile sur le feu pour une cause à laquelle il est étrangère. Mais il ne sait faire que cela.  Cineclub caen

Le réalisateur

Mario Monicelli naît en 1915 à Viareggio. Fils du journaliste et critique de théâtre Tommasso Monicelli, il étudie l’histoire et la philosophie puis fait ses débuts de critique en 1932. A 19 ans il réalise son 1er court métrage en 1934 puis un moyen métrage primé à Venise, . En 1937 il réalise Pioggia d’estate (pluie d’été) sous le pseudonyme de Michele Badiek. il est aussi assistant-réalisateur aux côtés entre autres de Pietro Germi,

Les années 1949 à 1953 sont marqués par sa collaboration prolifique (huit films à succès en 4 ans) avec Stefano Vanzina, plus connu sous le nom de Steno. Il démarre une carrière solo à partir de 53 en plein âge d’or du cinéma italien. Il devient un maître de la comédie satirique avec Toto cherche un appartement qui reçoit le lion d’or à Venise en 1959 ou encore Les Camarades qui aux oscars dans la catégorie meilleur scénario reçoit celui du meilleur film. Il signe d’autres grands succès tels que Le Pigeon qui révèle les talents comiques de Vittorio Gassman et Marcello Mastroianni,

Dans les années 1960, Monicelli se consacre également à des films à sketches : Boccace 70 (1962), Mes Chers amis ……Mais pas que . Auteur de nombreuses réalisations jusqu’en 2006 dont on peut détacher Armée Brancaleone , Un Borghese piccolo, piccolo, ou Le Marquis s’amuse, il se suicidera en 2010 à l’age de 95 ans atteint d’un cancer en phase terminale

L‘interview de Gilles Perret documentariste français, spécialiste des luttes sociales à propos de « les Camarades »

Monicelli a-t-il réalisé, selon vous, un film militant ? Pourquoi ?

Avant de qualifier ou non ce film de « militant », il faut tout d’abord dire que c’est un très beau film. Les personnages et la situation sociale de l’époque sont magnifiquement filmés. En ce qui concerne le terme de « militant », j’ai toujours du mal avec ce mot car il a tendance à amenuiser la dimension cinématographique de l’œuvre sous prétexte que le réalisateur voudrait faire passer ses idées aux forceps. …….

Lorsqu’on parle de la vie d’ouvriers ou d’employés, on ferait forcément un film militant ? C’est pourtant le quotidien de l’immense majorité des gens qui est dépeinte dans ces films. En tout cas, ces thèmes sont plus en rapport avec la vie des gens aujourd’hui que les scènes de dîner en ville autour d’une bonne bouteille de vin dans les appartements aux hauts plafonds parisiens qui envahissent le cinéma français. ….

« Les Camarades » font écho au « défi de la modernité » tel que conceptualisé par le penseur marxiste italien Antonio Gramsci : « Vivre sans illusions et sans pourtant devenir désillusionné. » Où trouver les moyens de ne pas baisser les bras ?

Quand on parle d’histoire sociale, on ne peut pas être désillusionné. Chaque fois, même après les moments les plus sombres, les gens ont su se relever et faire progresser la condition humaine. Chaque fois, ils l’ont fait lorsqu’ils se sont mis ensemble et non pas lorsqu’on a prôné la réussite individuelle. Je constate qu’aujourd’hui, avec les nouvelles générations, il est plus facile de poser la question du partage des richesses et de remettre en cause l’idée qu’il n’y aurait pas d’alternative à cette économie libérale, qui va finir par tout détruire, la nature et les organisations humaines, par pure cupidité. C’est une note d’espoir car le questionnement est le début de la résistance.

A qui conseilleriez-vous ce film ? Quels arguments leur donneriez-vous ?

A tous ceux qui aiment le cinéma, mais surtout à tous ceux qui ne se sentent pas représentés, ou alors de façon caricaturale, dans l’espace médiatique. Ils y trouveront des raisons de s’émouvoir, de s’énerver, de relever la tête et apprendront une page d’histoire sociale sans manichéisme.