Fernando León de Aranoa (2022) Espagne 1h56 Avec Javier Bardem, Manolo Solo, Oscar de la Fuente
A la veille de recevoir un prix censé honorer son entreprise, Juan Blanco, héritier de l’ancestrale fabrique familiale de balances, doit d’urgence sauver la boîte. Il s’y attelle, à sa manière, paternaliste et autoritaire : en bon patron ?
El Buen Patron est une comédie noire montée sur ressort qui parle sans faux-semblant de la violence du monde du travail

la semaine trépidante qui l’attend (le patron) nous emportera avec lui dans les rebondissements d’une mécanique bien huilée, oscillant perpétuellement entre hilarité et déconfiture. Tout bien pesé, c’est tout un système, digne des temps modernes à la Chaplin, qui se détricote avec finesse et nous laissera bouche bée.utopia
Après Les lundis au soleil (2002), Fernando León de Aranoa continue de poser un regard adroitement mordant sur les conditions de travail actuelles. S’il délaisse le problème du chômage évoqué lors de son précédent métrage, il conserve la dynamique de sa mise en scène pour observer de l’intérieur ce microcosme composé de multiples personnalités essentiellement occupées à tirer le meilleur profit les unes des autres. Autour de la figure contestable du chef d’entreprise interprété par un impeccable Javier Bardem tout à fait à l’aise dans ce costume taillé à sa juste mesure, se mettent alors en place tous les ingrédients de la tragi-comédie humaine : jalousie, traîtrise, influence, subordination, rivalité, revanche, ambition. Trouvant le juste équilibre entre la froideur des lieux et la vivacité des personnages, le film avance au rythme des vicissitudes humaines. Il se pare d’abord des couleurs de la comédie pour bientôt s’enfermer dans le suspense du thriller, sans oublier de distiller ici et là quelques notes de tragédie, tout en évitant le piège du misérabilisme. Avoir à lire
Une chronique sociale acide qui vérifie à nouveau que le système capitaliste et ses habituels dommages collatéraux n’est pas une question de taille d’entreprise, de montants des sommes en jeux ou encore de degré de proximité entre acteurs, mais bien d’ambition personnelle. Mais que celle-ci porte en elle les germes de son possible échec. La notion d’équilibre est ici bien moins une question de réglage de balancier que de la nature des poids que l’on va poser sur ses plateaux…
Écrite aux petits oignons baignant dans un vinaigre au PH bien élevé, desservie par une brochette d’actrices et d’acteurs à leur place et avec un sens millimétré du rythme, « El Buen Patrón » est la comédie entrepreneuriale pimentée et acide de ce début d’été ! Idéale avant un pas de danse au bal des faux-culs ! Yannick Hustache
Le réalisateur

Fernando Leon de Aranoa débute comme scénariste au milieu des années 90 . En 1997, il écrit et réalise ‘Familia’, dont le sujet loufoque (un quinquagénaire demande à des comédiens de jouer le rôle… des membres de sa famille) et le traitement original ( mise en abîme ) lui valent le Goya 1998 du Meilleur réalisateur révélation . En 1998, il signe ‘Barrio’ à nouveau remarqué lors de la cérémonie des Goyas avec deux prix . Les ‘Lundis au Soleil’, (chronique suivant cinq chômeurs entre moments d’amitiés et d’amertume) troisième long métrage réalisé en 2002, lauréat de cinq Goyas 2003. Suivront Princesesas en 2àà(: portrait de deux prostitués à Madrid, Amador, Un jour comme un autre et Escobar: un moment de la vie du narcotrafiquant colombien.
Paroles du réalisateur
Il s’agit de la tragicomédie d’un monde ouvrier usé, sans héros ni méchants, loin de
tout manichéisme. Une comédie mordante, gris foncé, presque noire. Un regard corrosif sur
les relations personnelles et professionnelles au sein d’une entreprise familiale employant
une centaine de travailleurs. C’est, d’une certaine manière, le contre-champ de mon film Les
Lundis au soleil. Alors que le premier traite du chômage, El Buen Patrón décrit le paysage
précaire de l’emploi aujourd’hui, en utilisant des techniques narratives similaires : un récit
choral tissé d’histoires qui s’entremêlent, traversée par la personnalité séduisante de Blanco.
El Buen Patrón est un portrait de la dépersonnalisation et de la détérioration des relations de
travail, d’une époque où des concepts dépassés comme la solidarité, l’éthique ou le bien
commun semblent avoir été effacés de la carte de l’emploi, pour être remplacés par la
logique du profit et de la précarité.
Visuellement, mon film cherche une forme de réalisme, sans tourner le dos à une
image sophistiquée. La lumière du chef-opérateur Pau Esteve dépeint avec élégance ce
décor froid et industriel qui souligne a contrario la chaleur des personnages et de leurs
conflits. Le langage de la caméra, symétrique, horizontal et harmonieux au début, est le
reflet de l’équilibre parfait que Blanco a atteint dans sa vie personnelle et dans son usine.
Mais l’écriture devient dynamique et plus instable au fur et à mesure que le film progresse.
Le vertige de la caméra portée remplace peu à peu l’horizontalité des premières images, en
accompagnant la dérive de notre personnage.