Ann Sirot, Raphaël Balboni (2021) Belgique 1h27 Avec Jo Deseure, Jean Le Peltier, Lucie Debay
Alex et Noémie voudraient avoir un enfant. Leurs plans sont chamboulés quand la mère d’Alex, Suzanne, adopte un comportement de plus en plus farfelu. Entre l’enfant désiré et l’enfant que Suzanne redevient, tout s’emmêle.
Un récit inventif, émouvant et emmené par d’épatants comédiens
L’esprit belge a encore frappé ! Cet humour dont il faut bien reconnaître qu’il est assez unique, cette sorte de surréalisme du quotidien qui habite semble-t-il à temps plein l’esprit et l’âme de nos voisins préférés et qui leur permet de garder une distance salutaire, de tourner en dérision les pires des situations. Une Vie démente, qui met en scène la perte de contrôle d’une femme d’une soixantaine d’années et la manière dont ses proches vont faire face, sera donc aussi drôle que tragique, secoué d’autant de moments bouleversants que de crises de rire. Ce n’est après tout que le juste reflet de la réalité, tous ceux qui ont vécu cette expérience sachant que l’absurde fait partie de la traversée : Raphaël Balboni, qui a co-écrit et réalisé le film, en sait quelque chose puisque le scénario raconte peu ou prou le parcours qu’il a connu avec sa propre mère…Utopia
Il n’y a aucune exagération à affirmer que la première scène de Une vie démente est absolument désopilante, avec ce couple de trentenaires, Alex et Noémie, qui aimerait bien qu’on lui fournisse le mode d’emploi précis de la mise en route d’une grossesse. On pense être parti pour une comédie très drôle, mais on va vite s’apercevoir que ce n’est pas vraiment le cas. Non pas que le film cesse tout d’un coup d’être drôle, il l’est toujours, même s’il l’est moins que dans cette scène d’ouverture. Non, ce qui ne convient pas dans « comédie très drôle », c’est le mot comédie. On connaissait les comédies, les drames, les comédies dramatiques et les tragi-comédies, mais on avait moins souvent rencontré au cinéma le genre dans lequel peut être « rangé » Une vie démente, le drame comique. En effet, dans la foulée de cette scène d’introduction, on rencontre Suzanne, la mère d’Alex, qui, dans un premier temps, tient à offrir au couple la meilleure literie possible, une femme qui apparait comme étant très fantasque et dont on va s’apercevoir petit à petit qu’elle est bien plus que fantasque, Jean jacques Corrio
Ann Sirot et Raphaël Balboni
Le duo se forme en 2007 autour d’un premier court-métrage : Dernière Partie, un thriller décalé . Ce premier film, plutôt expérimental, pose les bases de l’univers que les deux réalisateurs vont développer dans les court-métrages suivant : un univers décalé et étrange, un cinéma hybride et atypique, un onirisme délirant et joyeux.
En 2014, ils mettent en place une nouvelle manière de travailler. Le scénario est construit autour des comédiens, sans dialogues, à partir d’improvisations travaillées en répétition.
Ce système leur permet une grande spontanéité dans le travail sur le jeu d’acteur et une construction narrative qu’ils élaborent en montant les répétitions filmés.
Ils élaborent avec cette méthode le court-métrage « Avec Thelma » qui est récompensé dans de nombreux festivals et obtient le Magritte du meilleur court-métrage. Le film se penche sur la manière dont un couple intègre dans son quotidien une petite invitée de 3 ans.
En 2020, ils terminent leur premier long-métrage Une Vie Démente sans abandonner la réalisation de courts métrages
L’interview
Comment est venue l’idée d’évoquer la démence sénile et ses conséquences au quotidien sur l’entourage ?
Raphaël Balboni : En fait le sujet vient directement d’une situation vécue. On avait envie de transmettre quelque chose suite à ce vécu. Tout part de là et notamment l’envie d’adopter un ton particulier parce qu’on ne se retrouvait pas toujours dans ce que l’on pouvait voir sur la maladie. Quand on rentrait à Bruxelles et qu’on parlait avec des amis de ce qu’on était en train de vivre, on se rendait compte qu’on racontait des choses un peu décalées, c’est ce qu’on avait envie de retranscrire dans le film.
Ann Sirot : On se disait que tout le monde savait que ce genre d’expérience était quelque chose de très intense et que tout le monde connaissait cette douleur et cette détresse mais nous ce qu’on a appris c’est qu’en fait il y a aussi beaucoup de burlesque parce qu’on est fébrile et sur le fil. Et cela créé une intimité très intense avec les proches et la personnes malade.
Le ton du film comme sa direction artistique sont étonnants, fantaisistes. Comment se sont décidés ces choix ?
Raphaël Balboni : C’était vraiment présent dès le départ. C’est parce qu’on a trouvé cet angle qu’on a eu envie de faire le film.
Ann Sirot : Au début on cherchait vraiment des façons visuelles de signifier que la situation prend une place de plus en plus importante dans la vie du couple et il y avait une volonté de créer quelque chose formellement pour correspondre à cette sensation. Comme tout le film est sur ce que la maladie créé, sur la façon dont elle enrichit le quotidien, on s’est dit qu’on ne pouvait pas écrire sur cette fantaisie qu’apporte Suzanne sans que cela n’influe sur la forme du film. Il fallait que le fond contamine la forme et qu’à un moment donné on fasse des choix qui ne soient pas académiques, qu’on ose sortir du cadre de la bienséance en tant que cinéaste.
Raphaël Balboni : On a fait beaucoup de courts métrages avant ce premier long et il y avait déjà un jeu formel, une façon de décaler les choses, c’est comme un jeu avec le spectateur qu’on recherche, une façon de jouer avec les codes. Cela nous amuse beaucoup de chercher à raconter les choses autrement.
Qu’avez-vous gardé de vos méthodes de travail sur le court métrage pour ce passage du court au long ?
Raphaël Balboni : En travaillant sur nos courts, au bout d’un moment, on a mis en place une méthode de travail, sur les trois derniers, qui consiste à travailler très en amont avec les comédiens, dès l’écriture, pour développer des scènes, des situations, de les filmer et de développer un brouillon de film. On a conservé cette méthode pour Une vie démente. Ann était comédienne de théâtre avant et cela vient de là. C’est une phase de création comme celle d’un spectacle.
Ann Sirot : Les comédiens ont été sollicités une vingtaine de fois et on a beaucoup travaillé avec eux avec de grandes phases d’écriture entre ces rencontres qui nous permettent de digérer et d’intégrer ce qui a été expérimenté en répétition et de s’ajuster aux acteurs. On travaille à ce qu’ils aient dans le scénario final des personnages sur mesure.