« Petite Solange » lundi 17 octobre 20h30

Axelle Ropert (2022) France Avec Jade Springer, Léa Drucker, Philippe Katerine

Solange a 13 ans, elle est pleine de vie curieuse et sentimentale à l’excès, elle adore ses parents. Mais un jour, elle réalise qu’ils se disputent et commencent à s’éloigner l’un de l’autre…. l’ombre du divorce se précise. Alors Solange va s’inquiéter, réagir et souffrir. C’est l’histoire du passage à l’état adulte d’une jeune ado trop tendre.

Dans une mise en scène frémissante d’énergie, cette chronique intime et parfois cruelle, qui ose le mélo sans être tire-larmes, réussit à être totalement au diapason des palpitations de sa jeune héroïne, en résistance devant son monde qui s’écroule. Prix Jean-Vigo 2021

Si le scénario est inspiré de l’expérience personnelle de la réalisatrice, elle le filme avec une retenue, un recul salutaires et contourne par un regard toujours bienveillant le chantage aux sentiments. Quelques références assumées au mélodrame classique, des clins d’œils fugaces cinéphiles émaillent le film, lui donnant une texture singulière. Mais son charme doit également beaucoup au jeu de Jade Springer, qui incarne à merveille ce mélange de détermination et de fragilité lié à son personnage, dans la lignée de Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre cents coups (source d’inspiration revendiquée par Axelle Ropert, avec L’Incompris de Luigi Comencini parce que « l’Italie est la patrie naturelle du mélo ») ou Charlotte Gainsbourg dans L’Effrontée… Petite Solange mais grand personnage et grande comédienne en herbe, dans un grand petit film.utopia

Pour suivre son personnage de l’intérieur, Axelle Ropert n’utilise pas les moyens du réalisme par lesquels on embarque dans la tète du personnage, avec la camera à l’épaule fixée derrière elle quitte à faire apparaitre le monde instable ou flou (Rosetta, ou L’évènement). Axelle Ropert, à la cinéphilie revendiquée, place une affiche de L’incompris dans le cours d’Italien pour bien indiquer qu’elle procède autrement, avec les moyens du mélodrame : cadrages serrés sur les visages vus de face, musique ou poème déployés, objets signifiants (téléphone à la maitresse, rond de serviette de Romain retiré car absent, trottinettes roses, pull porté par Gina..). Autant de coups sourds qui sont portés à Solange qui finira par s’écrouler en dépit de son énergie joyeuse et aimante. La bougie des quatorze ans l’embarquera ensuite vers l’âge adulte, celle des compromis avec le temps. Jean Luc Lacuve

L’interview de la réalisatrice

Il y a aussi une autre référence géographique: l’Italie. Pourquoi ?


Parce que l’Italie est la patrie naturelle du mélo ! L’autre film source de Petite Solange, c’est L’Incompris de Luigi Comencini, dont on voit une affiche dans le film. Il y a quelque chose
autour de la lumière, la cruauté, le lyrisme d’une certaine musique italienne, et aussi la douceur de l’accomplissement implacable du cours des chose

Solange est une adolescente très particulière, candide, tendre, sans défense, elle ne s’énerve jamais, est-ce vraiment une jeune fille d’aujourd’hui ?


Mais bien sûr qu’elle est totalement « 2021 » ! On a une vision un peu faussée des
adolescents car le cinéma de ces dernières années a beaucoup privilégié les ados
naturalistes, taiseux, agressifs, hérissés… Moi je voulais raconter une très jeune fille aimante,
aimante à en perdre la raison… Rien ne me déchire plus dans la vie que les gens très
tendres dont on sent qu’ils vont se fracasser contre le mur implacable du réel.
Et il me semble qu’il y a une grande trajectoire de Solange dans le film : de la candeur lumineuse du début à la noirceur finale…Je voulais raconter ça : la perte brutale de l’innocence, l’entrée dans l’âge adulte qui passe forcément par l’apprentissage de la dureté.

Axelle Ropert

Critique de cinéma, scénariste – au service de Serge Bozon, dandy déjanté dont elle a écrit tous les films , Axelle Ropert, est aussi réalisatrice inclassable. Après « La Famille Wolberg » chronique familiale inquiète et exubérante autour d’un patriarche ashkénaze, « Tirez la langue, mademoiselle » assume un romantisme peu à la mode, où le romanesque naît du quotidien. « La Prunelle de mes yeux », une comédie romantique entre deux êtres que tout oppose.

Ses films sont faits de ses fantasmes de «spectatrice» : désir de creuser une troisième voie entre la cruauté d’un Pialat et la mièvrerie d’Une famille formidable. D’où vient-elle? Elle est venue au cinéma par le visage des actrices de Hollywood, si belles sur les cartes postales que sa mère lui offrait pour son anniversaire, Ses lectures d’ado ont aussi joué leur rôle : ou comment un roman de Daphné Du Maurier vous met devant un film de Hitchcock. La Nouvelle Vague l’éclabousse : Truffaut et Rohmer d’abord Chabrol et Rivette ensuite. L’hypokhâgneuse d’Henri-IV échoue au concours de la Femis mais se forme sur le tas (de pellicules), à la Cinémathèque. Des rencontres lui donnent le goût de la critique, ce «grand art» sans lequel «jamais elle n’aurait fait de films».