« La LLorona » de Jayro Bustamante

 Un général, jugé  responsable du génocide des Mayas durant la guerre civile et finalement acquitté pour vice de forme par le tribunal, est  hanté, chez lui,  par une Llorona vengeresse,  fantôme de légendes sud-américaines, condamnée à rechercher ses enfants perdus près des lacs et des cours d’eau.

Troisième film de Jayro Bustamante, remarqué dès son premier opus « Ixcanul » qui met en scène Maria, jeune maya, échappant, mais à quel prix, à un mariage arrangé censé protéger la famille d’une expulsion de sa terre, suivi de « Tremblements » sur l’homophobie de la société guatémaltèque. Avec « La LLorona« , tout en se risquant sur le terrain du fantastique, il poursuit l’auscultation de son pays.

Dès le premier plan un cercle de femmes psalmodie en invoquant les esprits, car si, à l’extérieur la vindicte populaire vocifère, réclame justice, dans la maison du général des âmes  en errance chuchotent, bruissent effraient la famille. Le général tire sur tout ce qui bouge, la fille s’interroge enfin sur la culpabilité du père, la mère rêche, inflexible, délivre tout de même  quelques secrets de famille, la petite fille sera le lien avec cette nouvelle et étrange servante indigène interprétée par Maria Mercedes Coroy déjà présente dans  « Ixcanul« .

Ce huis clos sombre, devient la métaphore d’un pays qui à occulter toute mémoire, à ne pas désigner les coupables à ignorer tout un pan de son histoire, est sans cohésion, incapable d’assumer les problèmes soulevés par le trafic de drogue, la corruption, la traversée du territoire par les migrants.. 

La composition soignée des plans joue avec des plages lumineuses dans la pénombre de la maison, et sombres dans la lumière diurne. L’image propose des cadres  qui enferment les personnages parfois dans des clairs obscurs admirables, expose des photos de disparus, des récurrences de lignes dessinant des quadrilatères : l’accumulation de ces éléments contribuant à la sensation d’une atmosphère lourde, pesante, rendue angoissante par des faits étranges : pluie de crapauds, robinets qui se mettent en marche tout seul …….

Une œuvre minutieuse, déterminée dans ses choix esthétiques et inspirés par le réalisme magique cher à la  littérature sud-américaine, mais qui peut désarçonner par ses options de mise en scène.

Cédric Lépine : Est-ce que la décision de réaliser un huis clos avec La Llorona permettait de présenter une élite au pouvoir enfermée sur elle-même et délibérément aveugle à ce qui se passe dans le reste de la société ?

Jayro Bustamante : « La première interrogation consistait à montrer comment ces personnes pouvaient continuer à être elles-mêmes en sachant tout ce qu’ils ont fait, comment elles vivent au quotidien quelque chose que l’on ne peut pas nier. Je pense que l’être humain a cette capacité de surprotéger qui est tellement vaste qu’à la fin on peut se soucier davantage de ses petits soucis personnels que des crimes que l’on a causés.

Une sorte de Printemps arabe a eu lieu au Guatemala lorsque l’on a mis en prison l’ex-président même si le système politique a été conservé sans changer d’un iota. Le jugement de l’ex-dictateur a été annulé et personne ne s’est manifestée. J’avais envie de montrer que l’on a encore très peur de se confronter à un ex dictateur qui plus est, militaire. Car les choses n’ont pas changé et depuis plusieurs décennies les militaires ont toujours le pouvoir auquel s’est ajouté celui de l’Église catholique. Une minorité infime de la population du pays se retrouve à avoir entre ses mains le contrôle et l’oppression de l’ensemble des citoyens. C’est l’histoire du loup seul face à des centaines de brebis qui ne se rebellent pas. Personne, je pense, actuellement au Guatemala, n’a envie de reprendre les armes et de s’opposer au pouvoir en place à travers la guérilla. En revanche, une révolution sociale peut avoir lieu pour faire reconnaître et respecter les droits de chacun. »