Anne-Sophie Bailly (2024) France 1h34 Avec: Laure Calamy, Charles Peccia-Galletto, Julie Froger
Joël, trentenaire aime passionnément sa collègue Océane, tous deux en situation d’handicap. Océane est enceinte ce que Mona, la mère de Joël ignore…..
Le scénario est beau, le film poignant attrape le cœur

Que ce soit dans À plein temps (2021) ou Iris et les hommes (2023), Laure Calamy épouse à merveilles les contours de ces mères de famille quadragénaire en proie à une activité débordante et un certain grain de folie. Le sujet de Mon inséparable prolonge cette suite de films, avec une différence majeure, celle d’introduire une mère désarçonnée par les prises de position de son fils jugé comme « différent ». Anne-Sophie Bailly choisit de raconter le moment précis où le noyau fusionnel de la famille que forme Mona et son fils Joël vole en éclats à la grande surprise de tout le monde. Le jeune homme est en effet jugé comme « différent », à la charge directe de sa mère dont il est complètement dépendant. Malgré tout, les toutes premières scènes montre des jeunes adultes qui décident de prendre en main leur vie et conquérir une indépendance qui leur était interdite. Bleu du miroir
Voilà un film fort, qui traite de sujets durablement tabous dans notre société comme le consentement, le droit ou pas de refuser aux personnes « en retard » de fonder une famille, de vivre une vie aussi épanouissante que possible, basée sur ce qu’ils ont envie de vivre et non pas sur ce que la société pense qu’ils doivent vivre ou faire…
Au regard de ce que nous révèle le film, il apparaît qu’il est plus que grand temps d’être enfin à l’écoute des personnes en situation de handicap, équipées elles aussi d’un cœur et d’un cerveau qui fonctionne. Les accompagner, penser avec eux, et non plus à leur place, cesser de ne considérer que la seule question du quotient intellectuel, alors que l’intelligence se niche à bien d’autres endroits et que l’amour, qu’il prenne n’importe quelle forme, est un sentiment absolument universel et terriblement humain. Utopia
la réalisatrice
Anne-Sophie Bailly naît et grandit en Franche-Comté. Elle débute en tant que comédienne au théâtre et au cinéma avant d’intégrer la Femis en 2017 dans le département réalisation. Elle y réalise alors plusieurs courts-métrages entre 2018 et 2021. Ses films sont marqués par des thématiques du soin, de la maternité, la filiation, la transmission. Son court-métrage de fin d’études, La Ventrière (2021), est pétri de ces obsessions. Il est sélectionné dans plus de quarante festivals à travers le monde, de la France (Clermont-Ferrand) aux États-Unis (Telluride) et remporte pas moins d’une dizaine de prix.
En parallèle de la réalisation, elle co-écrit plusieurs scénarios comme Le Procès du Chien aux côtés de Laetitia Dosch en 2021 pour lequel elles remportent le Valois du Scénario au Festival francophone d’Angoulême 2024.
Son premier long-métrage, Mon Inséparable, en Sélection Officielle-Orizzonti à La Mostra de Venise 2024, reçoit le Prix Spécial du Prix Film Impresa, le Prix Sorriso Diverso du meilleur film étranger et celui Autrici under 40.
L’interview
Ce qui frappe dans l’écriture de vos personnages, c’est votre refus de vous placer en situation de juge, d’avocate ou de procureure. Cette neutralité était une volonté de départ ?
Mon obsession a toujours été d’échapper à la morale. À travers ce film, je me saisis d’enjeux éthiques, à commencer par la grande question qui le traverse : qui a droit sur qui, sur le corps de qui et sur la vie de qui ? Mais en embrassant ces interrogations, il était hors de question de passer par le prisme de la morale. Pour l’écriture de mes personnages secondaires, je me suis inspirée des réactions que j’ai pu observer. C’est un sujet sur lequel la société, tant bien que mal, est en train de changer. J’avais donc envie d’en rendre compte, tout en comprenant parfaitement la terreur qui saisit les parents d’Océane quand elle leur annonce qu’elle est enceinte de ce garçon en situation de handicap, comme elle. Idem pour la colère qui peut succéder à la peur, avec ce désir de protection que je trouve légitime jusqu’à ce qu’Océane prouve le contraire dans son assurance merveilleuse. Je comprends en tout cas tous mes personnages et j’avais besoin – y compris pour les plus secondaires – qu’ils évoluent au fil du récit.
Comment avez-vous travaillé avec vos comédiens ?
J’ai demandé quelques répétitions, même si je sais que Laure n’en est pas fan car elle protège cette « éruptivité » qui fait sa beauté, à raison. Mais elle a accepté de m’en accorder quelques-unes avec Charles car elle a compris à quel point c’était important pour moi. Et je pense qu’elles ont été très précieuses. J’en ai fait aussi d’autres avec Charles et Julie qui n’ont pas du tout le même rapport au corps. Parce que Julie n’avait jamais joué, mais aussi parce que ses particularités font que chez elle, le contact physique est compliqué. On a donc travaillé ensemble, accompagnés d’une coordinatrice d’intimité. Elle a vraiment facilité les choses, permis de créer une chorégraphie. Mon inséparable est un film de personnages et d’acteurs. Un film qui s’intéresse aux imperfections humaines, à l’ambivalence qu’on porte chacun en nous. J’ai été très exigeante avec mes comédiens, ils ont été très exigeants avec moi. Ce fut une relation très belle et passionnelle à cet endroit-là.