Philippe Van Leeuw (2024) Belgique 1h36 Avec Vicky Krieps, Mike Wilson, Ezekiel Velasco
Jessica Comley patrouille à la frontière américaine avec le Mexique là où des trafiquants de drogue et des immigrants tentent leur chance pour rentrer aux USA. Lors d’une intervention, elle tire sur une personne…
Un western contemporain sans concession

Seule femme au sein de la troupe des traqueurs de migrants, Jessica Comley dépasse d’une large tête l’ensemble de ses coéquipiers quand il s’agit d’égrener les menaces et les insultes, et de dégainer son arme avec ou sans sommation. Pouvoir humaniser une telle machine de haine sans lui faire perdre son pouvoir de nuisance est un défi que peu de comédiens peuvent relever, Vicky Krieps, habituée à nous éblouir par sa délicatesse, transcende ici la puissance et la violence de son personnage en dosant et variant subtilement ses effets. Une femme Imprévisible aussi dangereuse pour son entourage que pour sa propre personne. Capable de sombrer à tout moment dans la violence, mais aussi d’afficher ses blessures, ses fragilités, le temps d’un instant, dans un cadre privé. Puis de reprendre sa lutte contre l’immigration clandestine, bouc émissaire idéal d’un état et d’un être qui ne veulent pas se résoudre à affronter leurs propres démons. Michel Pignol
The Wall de Philippe Van Leeuw n’est donc pas une fiction de tout repos mais une œuvre audacieuse et exigeante, hantée par la lumière dure et blanche d’un désert inhospitalier, habitée par des questions lancinantes. Sur le processus mental, le conditionnement social et politique pouvant conduire un individu, un pays, un peuple à ne plus percevoir l’autre comme un être humain. Un constat implacable qui ne justifie rien mais montre frontalement une vérité terrifiante : la disparition programmée de l’empathie. Samra Bonvoisin
Le réalisateur

Philippe VAN LEEUW est un réalisateur, scénariste et directeur de la photographie belge. Son premier long métrage en tant que réalisateur fut « Le Jour où Dieu est Parti en Voyage » en 2009: Au Rwanda pendant le génocide nous sommes aux côtés d’une jeune femme et d’un homme, rescapés tutsis, réfugiés dans la forêt. Son deuxième long métrage: « Une famille syrienne »:nous plonge aux environs de Damas en pleine guerre où trois générations d’une même famille cloîtrées dans l’appartement d’un immeuble déserté, pris entre l’attente immobile et le désir de fuite, sous les bombes.
Le film a fait le tour du monde dans tous les grands festivals de cinéma où il a reçu de nombreux prix dont les Valois de la meilleure réalisation et meilleure interprétation pour Hiam Abbass, et six Magrittes du cinéma belge, dont celui de meilleur film et meilleur réalisateur.
L’interview
Pour revenir au film de guerre, The Wall semble s’inscrire appartenir à la lignée des films qui dénoncent la folie ; l’absurdité des conflits en rendant quasiment invisible l’ennemi. Ici, il n’y a pas de véritables belligérants, on arrête des gens pour les arrêter, on arrête même des citoyens américains. Plus précisément, un peu comme dans Le désert des tartares (Livre de Dino Buzzati et film de Valerio Zurlini), l’attente, les incessants allers-retours dans un territoire infini conduisent à une forme de paranoïa.
Vous avez entièrement raison pour cette comparaison. La raison pour laquelle j’ai choisi cette région, un poste frontière située à Sasabe, entre l’Arizona et le Mexique, c’est qu’il ne passe que quinze véhicules par jour. Il y a toutes les infrastructures et les matériels symboles de la puissance américaine qui sont affectés pour si peu. Vicky est frustrée dans son désir de bien faire, elle est là pour son pays. Elle est frustrée par l’absence d’ennemis. Le mur est une protection illusoire. Le vrai danger se situe dans le désert, où l’on meurt de soif.
Jessica croit à la version contemporaine du mythe de la frontière. Issue de la période de la conquête de l’ouest et constitutif de la culture américaine, de son impérialisme, le progrès, un système politique structurant dans des contrées « sauvages». Avant on partait d’une position optimiste offensive, aller de l’avant, aujourd’hui on tente de bloquer l’entrée.
C’est exactement ça. Il y a en plus un sentiment de supériorité qui caractérise certains américains. S’ajoute le poids de la religion Jessica Cromley pourrait être une évangéliste chrétienne, sans forcément être une pratiquante. Il y a une véritable croyance dans le fait de défendre la primauté des blancs. La frontière, thème associée au western, est le plus souvent dans le cinéma américain traduit, au final, par le triomphe du bien, ou du moins par un héros qui reconnait ses erreurs et change sa vision du monde. Ce n’est pas le cas pour moi. Dans The wall, Cromley ne fait pas ce trajet. Je refuse cela, car on regarde le monde, c’est très difficile de se rendre compte de son erreur et tourner le dos à tout ce qui nous constitue (famille, société, histoire…). Pratiquement personne ne fait cela. On est contraint de revenir à notre point de départ. On peut certes évoluer, mais un moindre déclic peut nous ramener en arrière.
L’actrice Vicky Krieps

Née d’une mère allemande et d’un père luxembourgeois, Vicky Krieps parle couramment allemand, français, anglais et luxembourgeois. Après avoir participé à plusieurs pièces de théâtre, elle enchaine les castings et trouve l’un de ses premiers rôles dans le drame belge Elle ne pleure pas, elle chante (2012) de Philippe de Pierpont, qui traite de l’inceste. Elle poursuit avec plusieurs autres films
Suite à plusieurs rôles secondaires Elle trouve des rôles qui tendent à gagner de l’importance comme dans le drame historique Colonia, aux côtés de la très demandée Emma Watson. ou dans Le Jeune Karl Marx, elle joue le rôle féminin principal. En 2017, sa carrière prend un tournant important lorsqu’elle est choisie pour donner la réplique à Daniel Day-Lewis dans le nouveau film de Paul Thomas Anderson, Phantom Thread, qui sort en salles début 2018.
Ensuite Vicky Krieps multiplie les projets entre le Luxembourg (Gutland), l’Allemagne (3 jours à Quiberon, Next Door) et la France, où elle est en 2021 à l’affiche de deux longs-métrages. Dans Bergman Island de Mia Hansen-Løve présenté au Festival de Cannes, tandis que dans Serre Moi Fort de Mathieu Amalric, elle se glisse dans la peau d’une femme qui prend la route, laissant derrière elle sa famille. En 2022, elle est l’épouse de Vincent Lacoste dans De nos frères blessés, où l’on suit un ouvrier condamné à la peine capitale à Alger dans les années 1950. Quelques mois plus tard, elle campe une femme condamnée par la maladie dans le déchirant Plus que jamais, où elle donne la réplique à Gaspard Ulliel pour sa dernière apparition à l’écran. La comédienne achève l’année avec Corsage, dans lequel elle se glisse dans le costume de l’impératrice Sissi, bien décidée à se rebeller contre le poids des conventions. Suivront Les Trois Mousquetaires, super-production de Martin Bourboulon , Jusqu’au bout du monde de Viggo Mortensen, Ingeborg Bachmann de Margarethe von Trotta et 5 ou 6 films qui seront sur les écrans tantôt.
L’interview
Cette capacité de susciter autant de tension, de sentiments par le regard peut faire penser à Travis (Robert de Niro) de Taxi Driver ? Est-ce que c’était une source d’inspiration pour vous ?
C’est une très bonne comparaison. Dans Taxi Driver, on ne sait jamais ce que le personnage pense. On a l’impression qu’il ne fait pas ce qu’il pense, et qu’il ne pense à ce qu’il fait. Chez Jessica, c’est la même chose. Elle possède une violence viscérale comme dans Taxi Driver, et se voit comme le sauveur de l’humanité. Quelque part c’est inverser le noir et le blanc. Elle se croit du côté de ceux qui vont libérer le monde du Mal qui le ronge, à savoir ces innocents qui veulent juste traverser la frontière.