Lillah HALLA (2023 ) Brésil 1h32mn avec Ayomi Domenica, Loro Bardot, Grace Passô, Gláucia
Sofia, une joueuse de volleyball prometteuse de 17 ans, apprend qu’elle est enceinte la veille d’un match important pour son avenir. Ne voulant pas de cette grossesse, elle cherche à se faire avorter.
Une jeunesse éclatante, solidaire dans ses rires et ses silences, son désespoir et sa révolte.
LEVANTE Voilà un film qui a une énergie folle et qui donne la pêche. Une fois n’est pas coutume, c’est du Brésil que nous vient ce petit bijou pétri d’humanité et qui porte haut le droit des femmes à disposer de leur vie et de leur corps. C’est un pays de contrastes où le choix du genre et l’orientation sexuelle sont acceptés mais où, dans le même temps, la ferveur catholique est omniprésente. Un pays où l’interruption volontaire de grossesse n’est toujours pas un droit et continue d’être sévèrement réprimée. Même si Bolsonaro n’est plus au pouvoir, une grande partie de l’opinion publique penche du côté de la criminalisation de l’avortement, et le retour en force de l’évangélisme dans le pays n’aide pas. Preuve en est, les cinémas sont transformés en églises…Pierig LERAY
Nous sommes au Brésil, mais où exactement ? Aucun indice, la ville est filmée comme un labyrinthe aveugle, les murs tagués défilent en traveling, les barbelés défendent les quartiers, le son abrutissant de la circulation est étouffée, et se marie à celui des impacts des ballons de volley au sol, la musique électronique à beat élevé rythme des pulsations qui s’emballent ; nous voilà prisonnier d’un étau sonore, asphyxié par des plans serrés qui nous enferme peu à peu dans un piège sans solution. La liberté, le bonheur du partage simple vont bientôt se stopper net……..
Le sujet de l’avortement est revenu avec insistance ces dernières années au cinéma, l’on ne peut oublier la Palme 2007 (4 mois, 3 semaines, 2 jours de Christian Mungiu) et cette scène de la salle de bain qui continue de hanter, le réussi Annie Colère plus récemment, L’évènement de Audrey Diwan Mostra en 2021. Le sujet ressurgit dans un contexte où ce droit fondamental s’en voit attaquer (aux États-Unis notamment), qu’il questionne notre gouvernement (pour son inscription dans la Constitution), et interpelle notre esprit occidental loco-européen pouvant ignorer le constat sordide que pour une grande partie du monde, notamment d’Amérique Latine, l’avortement est un crime. Wilsa Esser
La réalisatrice
Lillah Halla née en 1981est une réalisatrice brésilienne, diplômée de l’École internationale de cinéma et de télévision à Cuba. Son court-métrage Menarca (2020), un brulot féministe, a été primé dans de nombreux festival. Levante est son premier long-métrage et a déjà reçu le prix de la critique internationale du meilleur film dans les sections parallèles du Festival de Cannes. Son deuxième long-métrage, Flehmen, est actuellement en développement.
L’interview
Pourquoi cette histoire était-elle si importante pour vous, et pourquoi avait-elle besoin de ces personnages spécifiques, qu’ils soient queer ou non-queer ?
Je suis une cinéaste queer dans l’âme, dans le sens le plus profond de la queeritude. Il y avait cette idée d’une famille qu’on construit, et de « team stratégie » comme seule issue face à une vague fasciste, dans des moments isolants et effrayants. Lorsque je présente le film, j’aime aussi souligner la manière dont j’ai utilisé la joie comme un outil politique, car ces corps, dans ces matchs de volley-ball, ne sont pas en compétition les uns contre les autres, ils pensent de manière stratégique, ils existent et se soutiennent mutuellement. Je pense qu’il n’est pas non plus si courant de parler de grossesses non désirées dans les espaces queer. L’endroit où vous vivez peut entraîner des complications majeures et les conséquences sur la vie personnelle, en ce qui concerne les avortements clandestins, sont terribles sur le plan physique, psychologique et juridique… Au Brésil en ce moment, les avortements clandestins sont la quatrième cause de décès chez les personnes ayant un utérus.
Il y a une résonance avec ce qui se passe actuellement aux États-Unis…
Eh bien, je pense que la situation au Brésil a germé à partir d’une graine plantée par les États-Unis. Je ne veux pas m’égarer sur ce sujet, car je suis d’abord et avant tout cinéaste, mais la montée des églises néo-pentecôtistes au Brésil, la montée de cette vague fondamentaliste, est importante. Je dirais qu’au Brésil, pour revenir à votre question initiale, il y a de plus en plus de petits groupes, à l’intérieur des mouvements pro-avortement, qui parlent des grossesses trans non désirées, de ces complications spécifiques liées à la grossesse, et qui travaillent à modifier le langage utilisé par le mouvement féministe cisgenre, parce que ce mouvement s’approprie cette question comme lui appartenant exclusivement. Ce que je veux, moi, c’est faire des films avec les personnes que j’admire, et j’admire chaque personne qui a participé à Levante. Je suis vraiment profondément tombée amoureuse de chacune d’elles. D’une certaine manière, je suis un peu comme la coach de l’équipe dans le film : elle a créé ce monde malgré toute l’intolérance, le manque d’amour, l’isolement, la peur. Elle a réussi, malgré les conséquences potentielles, à créer ce microcosme en honorant ses convictions. D’une certaine manière, j’ai fait la même chose en réalisant ce film.
Comment avez-vous sélectionné votre équipe, et comment avez-vous travaillé à créer ce « corps » d’ami.es avec autant de crédibilité ?
Je me souviens m’être demandé s’il valait mieux trouver des talents avec des compétences confirmées en volleyball, que nous formerions au jeu d’acteur, ou si leurs compétences en jeu étaient plus importantes, ce qui impliquait leur apprendre à jouer au ballon. Nous avons commencé notre recherche avec ces deux critères, mais les personnes impliquées dans le volleyball sont… très impliquées. Le volleyball est leur cinéma : un entraînement et un travail à plein temps, avec la difficulté de trouver du temps. Le casting a pris un temps fou, dont j’avais besoin pour comprendre qui était qui, qui jouerait qui, pour saisir l’alchimie qui se dégagerait. Lorsque la pandémie a frappé en 2020, nous avons dû interrompre le pré-casting. Certaines personnes ont dû partir, notamment les athlètes. Mais lorsque nous avons pu reprendre, nous ne sommes pas reparties de rien. Nous avions construit quelque chose pendant deux ans