Myriam Verreault (2021) Québec 1h57 Avec: Sharon Fontaine-Ishpatao, Yamie Grégoire, Étienne Galloy
Deux amies inséparables : Mikuan et Shaniss, grandissent dans une communauté innue. elles se promettent de toujours rester ensemble, coûte que coûte, mais à l’aube de leurs 17 ans, leur amitié se fragilise ……
une ode bouleversante à l’amitié et à la liberté.

La force de Kuessipan (À toi en innu) tient à son incroyable authenticité et à la justesse de ses acteurs, tous issus de la communauté innue, . Le film n’est pas seulement une superbe observation impressionniste des paradoxes des Innus, avec ses moments savoureux, aussi étonnants que touchants, mais aussi le récit passionnant d’une amitié tourmentée par les divergences de choix de vie à l’âge adulte. Ce récit est adapté du roman quasi autobiographique de Naomi Fontaine – le personnage de Mikuan est son alter ego –, qui a permis à moult Québécois de découvrir les réalités des Innus : leur pauvreté, les problèmes sociaux qui les minent, l’angoisse de perdre leur culture ancestrale, le racisme latent de certains Blancs, l’incompréhension mutuelle de deux communautés qui se côtoient si peu et se méfient tellement… Le film de Myriam Verreault est cependant, et avant tout, porteur d’un très beau message d’espoir. D’abord sur la capacité des individus et des communautés à dépasser la méfiance et l’ignorance pour se rencontrer, se raconter. Surtout, elle nous dit que, quelles que soient les difficultés, quelles que soient les épreuves, il est nécessaire de croire aux serments d’enfants. . utopia
La richesse de ce film, joué principalement par des non professionnels, se trouve dans la manière avec laquelle les thèmes sont abordés. Les discussions tournent notamment autour de l’exploitation des ressources du territoire, du tiraillement entre les traditions et le « confort » de la vie moderne, de la dynamique familiale, de la fracture linguistique entre les aînés, qui parlent en innu, et leurs enfants, qui leur répondent en français. On parle même de musique (« Tu t’attendais à du Kashtin ? »). À travers le personnage « non innu » de Francis, dont on se paie gentiment la tête dans les réunions de famille de Mikuan parce qu’il a l’impression d’être arrivé sur la planète Mars, on évoque évidemment l’incompréhension collective entre les Blancs et les communautés autochtones. C’est parfois drôle, souvent touchant. Par ailleurs, il convient de souligner aussi le travail du directeur photo. Nicolas Canniccioni a magnifiquement su capter l’âpre beauté des paysages de la Côte-Nord, à l’image d’un film d’où émane une superbe force tranquille. Marc André Lussier
La réalisatrice
Myriam Verreault a grandi à Loretteville en banlieue de Québec Après des études en journalisme, en histoire et en cinéma, elle gravite dans le milieu de la télévision et du cinéma en tant qu’accessoiriste, réalisatrice et monteuse Elle se fait connaître avec À l’ouest de Pluton en 2009, Elle monte, en 2014, Québékoisie un documentaire traitant des relations entre Québécois et Autochtones Elle a débuté le travail de recherche et de scénarisation de Kuessipan en 2012 en compagnie de l’écrivaine du roman éponyme, Naomi Fontaine Elle y a planché pendant 5 ans avant de le tourner, multipliant les voyages d’immersion dans la communauté innue
L’auteure du livre et co-scénariste
Naomi Fontaine, co-scénariste et auteur du livre Kuessipan est née dans la communauté innue de Uashat, petite baie du Fleuve St-Laurent enclavée dans la ville Sept-Îles Après ses études uni-ersitaires à Québec, elle retourne à Uashat, où elle pratique la profession d’enseignante durant trois ans Attachée à son peuple, elle écrit le visage des Innus, ce que leurs yeux ont vécu Son premier recueil de récits poétiques Kuessipan : À toi, a été publié en 2011 .Elle codirige également l’anthologie qui rassemble des écrits des Premiers peuples,Tracer un chemin, Meshkenatsheu. Puis son deuxième roman, Manikanetish, Petite Marguerite .Son 3e récit est intitulé Shuni.
L’interview
Kuessipan” signifie : « À toi », « À ton tour ». Au-delà de sa signification dans le
livre, quelle est la portée de ce « À toi » ?
Myriam Verreault : Le titre fait écho non seulement à l’histoire, mais aussi au processus de création. Il y avait quelque chose à transmettre, une sorte de passation de flambeau pour que le film puisse exister. Naomi a d’abord accepté de me transmettre son livre Kuessipan, mais elle m’a aussi transmis une volonté et un savoir.
Naomi Fontaine : Le livre n’est pas une histoire à proprement parler. C’est un ensemble de voix. Lorsque j’ai écrit Kuessipan, j’avais une intention très claire : donner à voir des visages, des lieux et des moments vécus dans ma communauté. Le désir de
m’éloigner des images généralement véhiculées de Uashat mak Mani-Utenam* 1 , celles du désœuvrement et de la perte d’identité. Kuessipan, c’est d’abord « à toi », « à eux », à ceux dont je parle, d’exister en dehors des préjugés.
MV : Cette passation allait s’opérer ensuite avec les comédiens, pratiquement tous des Innus de la communauté, pour qui c’était la toute première expérience professionnelle de jeu. Ils allaient incarner des personnages très proches d’eux et prouver à leur tour qu’ils pouvaient aussi faire partie de ce monde.
Au-delà de cette histoire d’une amitié fusionnelle mise à l’épreuve, le film décline l’idée de liberté sous plusieurs formes : dans le rapport au territoire, dans les rapports aux autres et les aspirations pour le futur.
MV : Je me souviens d’une entrevue au téléphone lors de mon séjour de scénarisation. De son bureau à Montréal, la journaliste m’a demandée ce qui me marquait chez les Innus. Au même instant, je regardais une fille de dix ans rouler en quatre-roues sans casque sur la plage. J’ai répondu : la liberté. En vivant là-bas, j’ai senti cette liberté qui s’exprime comme un gros « fuck you » aux règles, aux lois, aux lignes de démarcation…
NF : Il n’y a pas de mot qui désigne « liberté » en innu. Il faut avoir connu l’enfermement pour se faire une idée de ce qu’est la liberté. Une manière d’exprimer cette idée dans ma langue serait donc « fin de l’enfermement ». Le contraire de la réserve, finalement
MV : J’ai essayé de mettre en scène des moments de vie qui transcendent l’enfermement de la réserve. La scène d’ouverture incarne ça j’espère. On voit Mikuan et Shaniss, enfants, cueillant des petits poissons, le capelan, sur la plage la nuit