Debra Granik (2011) États Unis 1h40 Avec Jennifer Lawrence, John Hawkes, Kevin Breznahan
Ree Dolly a 17 ans, quand son père sort de prison et disparaît, elle se lance à sa recherche .Ree va alors se heurter au silence de ceux qui peuplent ces forêts du Missouri…..
On en sort le souffle coupé, épaté par la force de l’interprétation.
Cette réalité que montre Granik n’est ni un fantasme citadin ni un plaidoyer démago aux valeurs éternelles de la campagne. La brutalité de son image, associée aux soins délicats avec lequel elle brosse une douloureuse galerie de portraits (des comédiens chevronnées comme John Hawkes ou Sheryl Lee jusqu’aux inconnus aux regards brûlants), font de Winter’s Bone un film extraordinairement moderne, décrivant un monde, le nôtre, qu’on aimerait oublier et qu’il faut bien, de temps en temps, regarder au fond des yeux. En cela, Debra Granik s’inscrit dans le courant devenu classique d’un cinéma américain qualifié d’indépendant faute de meilleur adjectif. Entre survivance d’un style très seventies et une démarche néoréaliste dont le festival de Sundance s’est fait l’épicentre, parfois jusqu’à la caricature. Difficile de ne pas penser en découvrant Winter’s Bone à d’autres films dont, parmi les plus récents et les plus intéressants, Frozen River de Courtney Hunt ou White Lightnin’ de Dominic Murphy. A chaque fois on y retrouve la ruralité la plus dure, la plus résistante, mais aussi le spectre de la bigoterie et du racisme, la pauvreté endémique, la violence et le repli sur soi-même, des communautés comme des individus, Libé
Debra Granik nous fait ainsi découvrir une des dernières frontières américaines, une zone comme perdue dans l’espace-temps : la forêt des Ozarks, dans le Missouri. Sur ce territoire inhospitalier, à côté duquel les villages des westerns d’Anthony Mann ressemblent à d’accueillantes bourgades hobbites, Ree trace son chemin, de cabane en cabane, de marais en abattoir, pour retrouver un père fugitif ayant hypothéqué sa maison pour payer sa caution.
Si elle ne le retrouve pas avant la fin du compte à rebours, mort ou vif, la jeune fille et sa famille seront expulsées, sans états d’âme – dura lex sed lex (preuve qu’on est bien dans un western). A l’instar de Kelly Reichardt (Old Joy, Wendy et Lucy), Debra Granik utilise la crise (morale, économique) comme pur moteur fictionnel, davantage soucieuse d’en montrer les effets concrets que d’en dénoncer les causes.
Point de réel méchant ici (ou alors, seulement des méchants), mais une attention constante à l’inextinguible flux vital des hommes et des femmes : lorsqu’un vieux cow-boy rouillé se saisit d’un banjo, par exemple, qu’un soldat explique longuement, presque en chuchotant, à Ree pourquoi ce n’est pas une bonne idée pour elle de s’engager dans l’armée, ou qu’un enfant se met à faire du trampoline, en apesanteur.
C’est dans cette patience opiniâtre et cette croyance dans les forces souterraines de la fiction que se dessinent, soyons-en sûrs, les premiers pas d’une cinéaste à suivre. Inrock
La Réalisatrice
Debra Granik, Autrice d’un cinéma minimal sur une Amérique mise à mal, Debra Granik, née le 6 février 1963 à Cambridge
(Massachusetts), a tourné seulement un court et trois longs métrages de fiction en 25 ans. Snake Feed (1997), Down to the Bone (2004), Winter’s Bone (2010), Leave No Trace (2018) : chaque titre en dit l’épure, l’esthétique de l’ét(h)ique, l’approche minérale et « à l’os » du travail de représentation de la réalité d’un pays insoucieux de ses marges. Soit une population d’outsiders, de laissés-pour-compte, d’oubliés de l’abondance et de l’argent comme unique gage de réussite, d’individus brisés, rongés par le mal-être, la drogue et la pauvreté. Son cinéma de l’exclusion, et du retrait comme autre forme de détachement de la société (Leave No Trace), jette une lumière crue sur l’état de l’Amérique (de Trum pour le dernier opus). Or, plutôt que d’interroger les seules causes externes de ce délabrement social et humain, Debra Granik fait de sa mise en scène un espace d’étude des comportements propres à déjouer les pièges et difficultés face à l’adversité. De quels ressorts, mécanismes intérieurs de résistance, énergie vitale, capacité de résilience, les êtres sont-ils capables ? Comment Ree va-t-elle survivre, se demande la cinéaste au moment où elle lit le roman de Daniel Woodrell, Un hiver de glace, qui servira de point de départ à Winter’s Bones
Paroles de la réalisatrice
« En Europe, vous avez les Flandres des frères Dardenne, nous, on a le Missouri. L’histoire de Winter’s Bone n’est d’ailleurs pas si noire : le personnage principal, Ree Dolly, lutte pour la survie de son frère et de sa soeur. Elle a un côté « stronger than hell », plus forte que l’enfer »,
Anne Rosellini, avec qui j’ai écrit le script, et moi avons utilisé des comédiens professionnels et des gens du coin. Le personnage du chef de clan, par exemple, est un motard de la Bikers Church. Un type passionnant, ancien du Vietnam qui sillonne tout le pays à moto depuis des années. Son nom, c’est Stray Dog, chien errant. Il l’a inscrit sur son blouson, et c’est un bon résumé de son existence. Il est un témoin, un reporter de ce que la vie peut avoir de plus difficile en Amérique.»
«J’ai la conviction que rien à l’écran n’est exotique mais, au contraire, très familier en Amérique. Je suis très sensible sur cette question parce que nous avons impliqué de nombreuses familles et que je ne voulais pas que l’interprétation de leur réalité soit trop éloignée de la vérité. Il fallait faire attention à expurger la moindre notion de jugement moral sur leurs conditions de vie. Ce n’est pas anodin que les gens là-bas puissent garder la même voiture vingt ou trente ans ou que la chasse ne soit pas un sport mais une tâche comme une autre. Au Missouri, comme dans huit ou dix autres Etats aux Etats-Unis, les enfants ne vont à l’école que quatre jours par semaine, de sorte qu’ils puissent aider leur famille. Il fallait que tout cela se perçoive à l’écran.»