François Desagnat (2022) France 1h22 Avec Jean-Paul Rouve, Julie Depardieu, Ramzy Bedia adapté d’une BD de Fabcaro
Fabrice, interprété par un Jean-Paul Rouve qui nage dans le film comme un poisson dans l’eau, va faire les courses. Arrivé à la caisse, il se rend compte qu’il a oublié la carte de réduction du magasin. Cet acte criminel fait de Fabrice un fuyard traqué par toutes les polices de France
Un petit bijou d’humour loufoque
Il y a quelque chose d’éminemment politique dans le film de François Desagnat, description d’un système qui est de l’ordre du totalitarisme de la norme libérale, faisant du personnage rêveur et candide un danger public, un marginal qu’il faudrait traquer jusqu’en Lozère ! Film aussi léger qu’intelligent, d’une drôlerie un rien flippante, Zaï Zaï Zaï Zaï était un projet risqué transformé en une comédie réussie et enlevée. Michaël Delavaud
On est plongé ici dans un monde familier, mais quelque peu décalé de celui qu’on connait. Sans être une dystopie, on sent rapidement que quelque chose cloche lorsque Fabrice gare sa Renault Captur orange dans un stationnement rempli de Renault Captur oranges, lorsque le portrait du Président de la République trône dans tous les lieux publics, et à la façon dont un poireau peut être considéré comme une arme. Bien sûr, quand les médias font tout un plat de l’infraction dont est passible Fabrice, cet acteur comique bien connu, on retrouve rapidement les codes d’un univers paranoïaque où le moindre écart au conformisme est tout de suite décrié. Beaucoup de crédit revient à Jean-Paul Rouve, protagoniste résigné, qui cerne bien les limites de son personnage. Fuyant les autorités même s’il reconnait avoir commis une faute, il ne questionne que peu ou pas son univers, la société qui le persécute sans merci, ce qui l’amène à se fourrer dans des situations qui le dépassent. Ramzy Bedia, Yolande Moreau et Marc Riso mènent quant à eux le bal d’une distribution secondaire particulièrement efficace Alexandre Leclerc
Le réalisateur
François Desagnat dont toute la famille est dans le cinéma, a travaillé à la télévision et réalisé des clips pour des artistes comme Jane Berkin et Faudel. Réalisateur de comédie à la française dont la meilleure est » Adopte un veuf » avec André Dussolier. Zaï Zaï Zaï Zaï son dernier opus est son film le plus abouti.
L’interview du réalisateur
À travers la fable sociale, le film dénonce les jugements catégoriques et sans nuance, les complotistes, l’influence des réseaux sociaux et des chaînes d’info en continu…
J’aime traiter ce genre de sujets par le biais de la comédie. C’est sans doute de la pudeur, mais c’est un
registre où je suis à l’aise et qui me rend sensible aux choses. Je n’aime pas les donneurs de leçon, et j’ai
l’impression que quand on s’y prend de cette manière, on crée un léger recul qui fait que le regard est
plus doux et plus fort tout à la fois. Mais c’est vrai qu’on avait la volonté de faire un film «politique» et
une critique au vitriol de la société sécuritaire, des médias et de sa culture des «spécialistes» – tout en
tirant l’ensemble vers la farce et la comédie.
On pense souvent à Buñuel, notamment quand le couple se met à faire l’amour devant Fabrice dans le
salon. C’était une référence assumée ?
Dès l’écriture, Jean-Luc Gaget m’a parlé de Buñuel, que je connaissais très mal. En découvrant son œuvre,
je suis tombé de ma chaise car son style me parlait totalement. Je le pensais davantage dans le surréalisme
que dans l’absurde. Mais en voyant Le Fantôme de la liberté, Le charme discret de la bourgeoisie et Cet
obscur objet du désir, je me suis rendu compte qu’il y avait là des éléments de non-sens totalement
jubilatoires.
Fabcaro
Fabrice Caro, est né à Montpellier en 1973. Suite à des études scientifiques, il se dirige d’abord vers le professorat puis entreprend une carrière de dessinateur/scénariste à partir de 1996 en travaillant pour diverses revues de bandes dessinés, la presse et l’illustration de livres. À partir de 2005, il participe au travail de différents collectifs.
Le succès arrive en 2015 avec Zaï zaï zaï zaï, bande dessinée. En 2018 paraît une autre œuvre mélangeant humour absurde et satire sociale : Moins qu’hier (plus que demain) ; Son roman « Le Discours » (2018) a été adapté au cinéma en 2020, suivront Broadway, en 2020, Samouraï, en, 2022 Journal d’un scénario, en 2023, et la même année il écrira le scénario de l’album d’Astérix :L’Iris blanc. à noter en 2021 la publication de « Guacamole vaudou », un roman photo humoristique. Enfin En 2024 paraît « T’inquiète », un roman choral original qu’il coécrit avec Guillaume Bouzard, Fabrice Erre, B-gnet et Gilles Rochier
En parallèle de sa carrière dans la bande dessinée, Fabcaro est également musicien, auteur-compositeur et chanteur. Il vit à Bédarieux.
l’interview de Fabcaro
Comment cette histoire a-t-elle germé dans votre esprit ? S’inspire-t-elle de scènes du quotidien dont
vous êtes témoin ?
J’avais envie d’écrire une histoire très absurde avec une seconde lecture, plus « politique », sur la
société de consommation, la place de l’étranger au sens large, sans papiers d’identité… Le point de
départ est assez bête : à une époque, quand j’allais faire mes courses, j’étais pris d’une appréhension
complètement décalée quand ma caissière me demandait si j’avais la carte du magasin, une sorte
d’angoisse idiote, comme s’il était gravissime que je ne l’aie pas…
Dans la BD, le protagoniste étant auteur de BD, on se dit nécessairement qu’il y a une part d’autobiographique.
Tous mes personnages me ressemblent toujours un peu. Là, le parti pris de me représenter moi était
d’abord une facilité graphique. Et puis, même si Zaï zaï est une pure fiction, le transformer en une sorte
d’auto-fiction ajoutait une dimension plus intime et personnelle.
Le catalyseur – l’oubli de la carte de fidélité – est totalement kafkaïen. Est-ce une référence pour vous ?
On pense aussi au théâtre de l’absurde, et à des auteurs comme Ionesco et Beckett, mais aussi à Buñuel.
Ce sont des références pour vous ?
Bien sûr, tous ces auteurs sont des références pour moi, même si je n’y ai pas pensé consciemment
quand j’ai fait Zaï zaï, ça m’a forcément nourri. Certains films de Buñuel, comme « Le fantôme de la
liberté » ou « L’ange exterminateur » sont des classiques pour moi. L’absurde le plus échevelé permet
paradoxalement d’aller au fond des choses, me semble-t-il.