Armando Iannucci (2017) Grande Bretagne 1h48 Avec Steve Buscemi, Simon Russell Beale, Jeffrey Tambor
Dans la nuit du 2 mars 1953 Joseph Staline meurt, les membres du politburo se déchirent pour prendre la place du dictateur tortionnaire.
Une satire politique hilarante, mêlant absurde et burlesque
La charge satirique de Ianucci force évidemment le trait, transformant ces personnages en caractères. Malenkov y occupe la fonction du vaniteux dépourvu d’envergure. Beria, celle du psychopathe. Khrouchtchev, celle du cauteleux stratège. Molotov, celle du pleutre doublé d’un imbécile heureux.
Ajoutez à ce cocktail de seconds couteaux encore pétrifiés par la peur, la fille et le fils de Staline en dégénérés, le tonitruant Joukov, héros de la seconde guerre mondiale mis sur la touche qui revient en idiot utile. Lâchez le tout dans un panier de crabes soviétiques, saupoudrez abondamment de détails sordides et extravagants tels que seule une dictature aussi démente que celle-ci peut en produire, et vous obtenez un film ubuesque, où l’on complote, tremble et torture à tous les étages. Le Monde
Dès la séquence inaugurale, on prend conscience de la terreur qu’inspire Staline. Chaque Soviétique sent le marteau et la faucille pendus au-dessus de sa tête. Un mot malheureux, un geste mal compris, un soupçon suffisent à couper le fil. Dans ce climat de paranoïa permanente, chacun est poussé à n’importe quel comportement irrationnel, déclaration absurde, pour éviter le goulag ou pire. Du point de vue du spectateur à l’abri, ces réactions de panique sont évidemment très drôles à l’image de ce directeur de la radio passant, d’une seconde à l’autre, de peinard à survolté.
Iannucci n’est pas le premier à transformer l’horreur en comédie mais cela demande un sacré talent et des modèles : « Le Dictateur » de Chaplin, « To be or not to be » de Lubitsch et « Docteur Folamour » de Kubrick.
D’une part, il a un sens du rythme virtuose, une façon d’enchâsser les scènes avec une précision millimétrée pour créer le burlesque. D’autre part, sa direction d’acteurs est phénoménale, tous jouent délibérément grotesque sans jamais l’être. Steve Buscemi a retrouvé sa forme de « Fargo » pour incarner ce ministre de l’Agriculture qui ne semble pas faire le poids devant le tank Beria. Celui-ci est diaboliquement incarné avec démesure et perversité par Simon Russell Beale, énorme acteur de théâtre trop rare au cinéma. Buscemi et Beale forment un duo qui n’est pas sans faire penser à Laurel et Hardy. La libre.be
Le réalisateur
Armando Giovanni Iannucci, né en 1963 à Glasgow en Ecosse, est un acteur, scénariste, réalisateur, chanteur et producteur de télévision britannique. Il a co-écrit, coproduit et réalisé des séries, des émissions de télévision, des films In the loop en 2009, l’histoire de David Copperfield en 2021, et La mort de Staline
L’interview du réalisateur
Pourquoi avoir choisi Steve Buscemi ?
Les raisons sont multiples. Un casting comme ça, c’est comme un gigantesque puzzle. J’ai tout d’abord souhaité que Simon Russell Beale interprète Beria. C’est un acteur de théâtre réputé au Royaume-Uni, mais il fait peu de télévision et de cinéma. Le fait est que nous n’avons qu’une vague idée de qui était Beria, donc caster un inconnu me semblait approprié. C’est l’opposé de Khrouchtchev, qui est une personnalité bien plus imposante. Il devait pouvoir être crédible à la fois dans le rôle du clown se baladant en pyjama et celui du dictateur effrayant. C’est pour cela que j’ai pensé à Steve. Il a un talent comique certain, mais nous savons aussi qu’il peut être très menaçant. Je voulais aussi m’assurer que tous les acteurs ne viendraient pas du monde du cinéma. On a Michael Palin, qui est connu pour avoir fait partie des Monty Python, Jeffrey Tambor est davantage estampillé télévision et Steve c’est le cinéma. Andrea Riseborough est une actrice très versatile, un vrai caméléon… et Simon est un artiste scènique. Ça m’a plu.
Certains des détails les plus drôles du film se sont réellement produits. En tant que satiriste, vous n’avez pas eu à trop vous creuser ?
Absolument ! Prenez le concert, dans la vraie vie, ils ont usé trois chefs d’orchestre : le premier s’était évanoui et s’était assommé. Ils en ont fait venir un autre au milieu de la nuit, mais il était ivre. Ils ont donc dû aller chercher un troisième chef d’orchestre. Je me suis dit : « Si je fais intervenir trois chefs d’orchestre dès le début, personne ne le croira. » Alors je n’en ai mis que deux. [Rires.]
Le film a été qualifié de « la représentation la plus fidèle de la vie en Union Soviétique à cette époque ». Teniez-vous à dépeindre l’histoire avec précision et où étiez-vous libre de prendre des libertés ?
On n’affirme jamais que ce que l’on montre est vrai. C’est notre interprétation. Nous avons amassé des informations et avons été inspirés par des faits historiques. Ce que j’essaie de transmettre, c’est l’exactitude de l’atmosphère – ce que cela a dû être de grandir sous Staline, d’être terrifié tous les jours, de ne pas savoir si vous alliez passer la nuit. Nous sommes entrés en contact avec des gens qui ont vécu cela, nous avons lu leurs récits, nous leur avons posé des questions… Pour moi, c’est un énorme compliment quand les Russes qui ont vu le film me disent : « Où à Moscou avez-vous filmé ça ?” Et je leur répond : « A Londres. » Je ne dis pas que c’est un documentaire. C’est une fiction, mais c’est une fiction inspirée par la réalité d’époque. Mon but est de faire ressentir au public le genre d’anxiété que les gens devaient éprouver dans leur vie quotidienne à l’époque.