« Bonjour » Samedi 16 novembre 17h15

Yasujirō Ozu Japon / 1959 / Avec Kōji Shidara, Masahiko Shimazu, Chishū Ryū, Kuniko Miyake. 1h34

Dans la banlieue de Tokyo, deux jeunes garçons réclament une télévision à leurs parents qui refusent et leur demandent de se taire. Les deux frères entament alors une grève de la parole.

Un film tendre, drôle, touchant

Maître du cinéma asiatique, Yasujiro Ozu élabore ici différents niveaux de réflexion. Le contraste entre l’ancienne et la jeune génération, la question de l’obéissance et du respect aux parents n’en sont pas les seuls thèmes. Le film nous décrit le mode de vie d’une vingtaine de personnes, leurs traditions, leurs histoires, leurs préoccupations. Le spectateur découvre la culture japonaise et plonge en parallèle dans les vicissitudes de la vie entre voisins. Les banlieusards de Tokyo se trouvent souvent sous un même toit. Ils ne verrouillent pas les portes, se trompent facilement de maison. Et les aspects les plus profonds du caractère humain se révèlent. Oksana Chirkashina

Le film est mis en scène à la manière d’une chronique tendre et sensible, montrant une société traditionnelle confrontée aux mutations qui la traversent, avec l’arrivée des équipements ménagers modernes, l’apprentissage de l’anglais par les écoliers, et la télévision, symbole de la crise qui va toucher le microcosme de cette petite banlieue tranquille. Mais la révolte des enfants apparaît bien plus troublante et inquiétante en tant que bouleversement des habitudes que l’arrivée imminente de la modernité dans le quotidien des familles ; la disparition des salutations matinales quotidiennes entre voisins perturbe et sème le trouble. Le film, léger et drôle, ne manque pas de toucher par le soin et la délicatesse des attentions du réalisateur à l’égard des protagonistes et des spectateurs. Matthieu Grimault

Yasujirô Ozu

Né le 12 décembre 1903 à Tokyo, en 1923, il entre à la Shochikû, studio de cinéma. Il devient assistant caméraman, puis rapidement assistant réalisateur. Son premier film date de 1927 et s’intitule Le sabre de pénitence. En 1928, il se consacre alors à des drames contemporains. Les influences occidentales et le modèle américain sont très présents dans ses films d’avant-guerre. Il s’essaye au film noir, au film de gangsters ainsi qu’aux comédies de mœurs. Au fil des années, son style s’affine et devient de plus en plus nippon dans l’âme. S’investissant dans des films très populaires au Japon, les shomin-geki qui content la vie des petites gens, sa manière de filmer et de conduire la narration s’éloigne peu à peu des pratiques occidentales (caméra basse à la hauteur d’un homme assis, décors traditionnels – tatamis, portes coulissantes -, refus des mouvements d’appareils, des fondus, faux raccords). On retrouve ces caractéristiques dans Gosses de Tokyo(1932) dont Bonjour est le remake , filmé à hauteur d’enfant.

Les 34 films muets, de 1927 à 1936, sont ainsi majoritairement des films sociaux avec une forte présence des enfants « Gosses de Tokyoé 1932 . Ils ont pour thème la pauvreté, la misère et mettent en œuvre des conflits, des histoires sinon de véritables drames. Ozu résiste au parlant jusqu’en 1936, date du Fils unique.

A l’automne 1937, alors qu’il a 34 ans, Ozu est mobilisé et se rend sur les fronts de Shanghai,libéré de ses obligations puis cinéaste de guerre, il revient à la vie civile et se succèdent des films aussi remarquables les uns que les autres: Printemps tardif (1949), Eté précoce (1951), Voyage à Tokyo (1953), Fleurs d’équinoxe (1958), Fin d’automne (1960), Dernier caprice (1961) Le goût du sake (1962). La thématique du couple domine dans Les soeurs Munakata (1950), Le goût du riz au thé vert (1952) et Printemps précoce (1956), Herbes flottantes (1959) et la transmission est au centre Bonjour (1959).

Yasujirô Ozu meurt le 12 décembre 1963, le jour de ses 60 ans, quelques mois après la sortie de son dernier film Le goût du saké. Cinéaste de la famille, Ozu ne se maria jamais. Il habitait à Kita-Kamakura avec avec sa mère dans une modeste habitation.

Le style d’un grand cinéaste

Cinéaste hanté et traumatisé par la guerre, on peut même voir une scène de bar dans le Goût du Saké, où les deux personnages principaux se réjouissent de la défaite du Japon. Chez Ozu, on observe comment le Japonais se soumet aux règles du jeu, à l’ordre des choses et du monde?

Pourtant, souvent, ils se révoltent, sans rien dire, refusant les choix dictés. Les enfants insolents deviennent bien sages en grandissant. Les femmes dociles sont bien plus émancipées qu’en apparence, dans le cadre contraint où elles évoluent. Souvent il faut un destin qui bifurque pour que son mélo s’envole. Car dans son cinéma, au-delà de l’acceptation, les personnages sont avant tout des êtres qui se séparent. C’est la transmission, par la douleur. Derrière la banalité des vies, il y a cette souffrance permanente qui nous traverse, et qui passe des parents aux enfants.

Mais ce qui frappe aussi dans ses films, c’est leur richesse cinématographique, beaucoup moins immobiles qu’on ne le croit, beaucoup plus audacieux qu’on ne l’imagine. La rigueur et l’épure, le dénuement et le formalisme ne sont que des qualificatifs clichés pour un cinéma qui s’adaptait et se transformait en fonction des histoires. Mais ce qu’on retient de ses expérimentations c’est que le monde est en mouvement, les regards jamais vraiment francs, le spectateur à distance et les espaces manipulés par le cadrages. Rien n’est statique Martin Drouot