« Même la Puie » Lundi 25 novembre 18h15 et 20h30

Iciar Bollain (2010) Espagne, Bolivie 1h43  Avec Gael García Bernal, Luis Tosar,

Une équipe de tournage investit une bourgade de Bolivie. Sebastian , jeune cinéaste espagnol veut réaliser un film sur la conquête espagnole du “Nouveau Monde” et le sort réservé aux indigènes. Daniel, autochtone, embauché comme figurant, fera entrer en échos passé et présent.

Ce drame, rythmé comme un film d’action a ­l’intelligence d’être à la fois œuvre d’auteur et spectacle grand public

Avec l’aide de Paul Laverty (scénariste attitré de Ken Loach), la réalisatrice Iciar Bollain confronte ses personnages à un cas de conscience rarement abordé au cinéma : un cinéaste engagé peut-il se permettre de ne pas joindre l’acte à la parole ? Où commence et finit son engagement ? Le film pose finement la question de l’intégrité.e. Jacques Morice Telerama

l’interprétation assez spirituelle pour que l’on croie un temps avoir affaire à un film ironique qui s’aventurerait sur un territoire relativement inexploré. Des films sur le cinéma, on en a vu beaucoup. Des longs métrages qui s’interrogent sur la nature postcoloniale de la chronique de l’histoire des opprimés par les oppresseurs, il y en a beaucoup moins.

Mais les filmographies d’Iciar Bollain et Paul Laverty ne sauraient mentir, et l’indignation reprend bientôt ses droits. Le scénariste a situé son histoire à ce moment et à cet endroit parce que, en 2000, Cochabamba a été secouée par de violentes manifestations déclenchées par la privatisation du service public de l’eau.

Bientôt, Même la pluie devient la chronique de cette révolte emmenée par un habitant des bidonvilles qui se trouve avoir décroché le premier rôle indigène du film que tournent les Espagnols. Cette réincarnation d’Hatuey, l’un des premiers chefs taïnos à prendre les armes contre les conquistadors, devient une de ces figures saintes qui traversent parfois les films de Loach.Le Monde

Ce qui est passionnant, dans ce cinquième long-métrage de la réalisatrice espagnole Iciar Bollain, ce sont les correspondances entre le passé – la domination des peuples indigènes par les conquistadors – et le présent, où existe une nouvelle forme de domination, plus policée, plus insidieuse.
La situation n’a guère évolué en cinq-cents ans…
La population est composée de différentes ethnies et de métissages. Tous les citoyens sont censés avoir les mêmes droits, mais dans les faits, les amérindiens sont toujours défavorisés par rapport aux blancs. Ce sont eux qui ont les situations les plus précaires, les petits boulots mal payés, les conditions de vie les plus rudes.
Intelligemment, la cinéaste alterne les séquences du film de Sebastian, qui montrent comment Colomb et les conquistadors ont asservi les indiens – en l’occurrence les taïnos d’Hispaniola (2) –  avec des séquences contemporaines qui leur font écho.
Vital Philippot

Icíar Bollaín

a débuté sa carrière dans le cinéma, en tant qu’actrice, dans le film de Victor Erice, El Sur (1983) à l’âge de 16 ans. Mais c’est sans aucun doute à partir de sa rencontre avec Ken Loach, lors de sa collaboration au film Land and Freedom / Tierra y Libertad, en tant qu’actrice et assistante du réalisateur qu’elle va donner une place prépondérante à la réalisation. Ken Loach et elle partagent la même volonté de donner la parole à ceux que l’on veut faire taire et de lutter contre l’injustice sociale à travers leur œuvre, de film en film. Elle est la compagne du scénariste de Ken Loach, Paul Laverty . Ensemble, on leur doit Ne dis rien en 2003, sur une femme battue, Même la pluie en 2010, , L’olivier en 2016. Yulli en 2018 projeté lors des Automnales 2022, Le Mariage de Rosa (2020) Les Repentis (2022): un dialogue entre un ancien terroriste de l’ETA et la veuve de l’une de ses victimes, inspiré par des faits réels

L’interview

Comment ont réagi les membres de l’équipe bolivienne au scénario ?

En fait, nous avons recontacté les personnes avec lesquelles Paul Laverty avait parlé lorsqu’il faisait ses recherches. Certains des membres de l’équipe qui ont recréé la guerre de l’eau à l’écran avaient bel et bien pris part au conflit. Ils étaient très heureux que leur histoire soit racontée. Ils se sont donc montrés très coopératifs. Nous avons vécu la même chose avec le gouvernement. Nous avions besoin de l’armée et de la police mais aussi de filmer le centre-ville. Nous sommes donc allés vers eux et ils n’ont fait aucune difficulté parce que, comme je vous le disais, ces résistants forment en grande partie l’essence du mouvement qui a mis le parti d’Evo Morales au pouvoir. A la Première du film, l’ambassadrice de la Bolivie nous a redit à quel point cette lutte était importante pour le peuple bolivien. Surtout qu’il existe peu de films parlant d’Histoire de la Bolivie.

Les personnages de Même la Pluie tournent eux-mêmes un film sur l’Histoire de la Bolivie. Mais au bout d’un moment, leur film paraît dérisoire par rapport à la réalité du pays. Peut-on voir dans Même la Pluie un questionnement de l’intégrité du cinéma ?

C’est ce que j’aime dans le scénario : il est complexe et plein de contradictions. Deux prises de positions apparaissent clairement. Il y a celle de Sebastian, le réalisateur, qui pense que le film passe avant tout le reste parce que c’est cela qui va rester à la postérité. Il combat à sa manière en soutenant cette idée. Son point de vue est défendable parce qu’il arrive que certains films laissent véritablement une empreinte dans les esprits. On peut être d’accord avec lui, mais en même temps, on peut aussi trouver que la vie est plus importante. Un film n’est qu’un film. C’est ce que réalise Costa, le producteur. Il fait face à cet homme, Daniel, et le regarde dans les yeux. Il lui devient alors impossible d’ignorer ce qui se produit autour de lui. S’il ne fait rien, il ne pourra pas se le pardonner. La réalité finit par l’emporter sur le reste. A mes yeux, chaque point de vue est valable. Il n’y a pas vraiment de solution et la beauté de l’histoire réside dans ses contradictions.

Quand on va sur un plateau de tournage, on a l’impression de se retrouver dans une microsociété avec des castes. Sachant cela, n’est-il pas difficile pour un film qui parle d’une crise sociale de rester honnête ?

Comme je vous le disais, tout est plein de contradictions. Rien que dans notre casting, nous avons côte à côte Juan Carlos Aduviri, un acteur bolivien inconnu du public, et Gael Garcia Bernal qui a un agent à Los Angeles. Avec quelqu’un comme lui qui est immergé dans le star system, nous sommes obligés de respecter un contrat qui stipule par exemple de le placer en premier au générique. Si nous voulions être parfaitement honnêtes, nous devrions peut-être mettre Aduviri en premier dans les credits, mais nous devons suivre les règles de l’industrie. Ce n’est qu’un exemple des contradictions auxquelles nous avons été confrontés. La seule chose que nous pouvions faire était de nous montrer sensibles aux souhaits de notre équipe, et notamment de respecter la manière dont ils voulaient être rétribués.

Nous avons d’ailleurs pris des leçons à travers cette expérience. Par exemple, certains figurants provenaient du voisinage et pour prendre contact avec eux, nous avons d’abord dû parler à leur chef. Ce dernier nous a répondu que l’on devait en parler directement avec la communauté, qu’il ne pouvait pas prendre la décision pour le groupe. Nous avons donc dû assister à une longue réunion, sachant que celle-ci devait suivre un planning précis et que nous étions derniers sur la liste. A la fin, après les discussions sur l’école, les infrastructures, etc., nous avons pu exposer notre proposition. Ensuite, nous avons dû partir afin qu’ils en discutent entre eux. A l’issue de cette discussion, il en est ressorti que nous devions non seulement payer les figurants mais aussi laisser quelque chose pour la communauté, afin que l’expérience profite au groupe et pas seulement à quelques élus.