Philip Barantini (2022) Angleterre 1h34 avec Stephan Graham, Vinette Robinson
Avant Noël, dans un restaurant gastronomique de Londres, côté cuisine, tout le personnel est en ébullition. Mais les problèmes s’accumulent autour du chef étoilé. S’ajoute à cela la pression constante d’une clientèle toujours plus exigeante

Un plan-séquence unique d’une heure trente conjuguant prouesse technique, qualité d’écriture et jeu inspiré des comédiens:
Un coup de maitre
Nous voilà en immersion, pris au piège d’un huis-clos, comme un saumon dans un bocal, ou plutôt dans une véritable cocotte minute à retardement. On ne peut que guetter le point de non retour, le fameux « boiling point » (autrement dit « le point d’ébullition », traduction littérale du titre anglais, plus évocateur que celui choisi pour la sortie française), moment décisif en cuisine où tant de choses peuvent basculer. Sous l’apparente tranquillité liquide, on devine les molécules d’eau s’agiter sous l’effet de la chaleur. On sait empiriquement qu’il suffira d’un instant d’inattention pour que le lait déborde, que la crème anglaise tourne, que le caramel brûle… ou qu’une erreur fatale soit commise. Dans ce monde-là l’imperfection n’est pas de mise ! Utopia
Mais voilà, THE CHEF est aussi un drame, presque un thriller. Le doute est la principale caractéristique des personnages, le doute sur l’avenir miroir de notre situation, de notre société qui n’a jamais vécu aussi longtemps sous cloche et si peu libre. Il semble y avoir une urgence permanente dans ce film, retranscrite par les mouvements de caméra parfois erratiques, peu à peu le chef, la brigade, la salle, les clients sombrent dans une descente aux enfers progressive et incoercible. Ce doute se mue en une sorte d’angoisse eschatologique, comme les sept plaies d’Égypte le chef subit et s’enfonce au fur et à mesure dans une situation intenable. La maestria des auteurs du film tient dans cette façon de lier les choix de mise en scène à l’écriture pour apporter une réelle plus value dans la narration et l’immersion du spectateur. Nous sommes réellement face à une tragédie théâtrale transposée avec maitrise et talent au cinéma à travers un plan séquence en huis clos de 1h34 dans lequel le bateau tangue quand le capitaine et les seconds semblent dépassés. Etienne Cherchour
Philippe Barantini

Au départ essentiellement acteur , il passe à la réalisation avec des courts métrages et en particulier « Boilling point » déja avec Stephen Graham à la déjà solide carrière qu’il développera en long sous le titre français « The Chef » Il travaille aussi pour la télévision et développe des projets de série. Son prochain opus « Accused » devrait sortir fin 2023
l’interview du réalisateur
Pouvez-vous parler un peu de l’inspiration derrière le court métrage d’abord, puis de son adaptation pour un long métrage, et maintenant en série télévisée ?
Eh bien, j’étais acteur depuis environ 25 ans et pendant cette période, je n’avais pas autant de succès que j’aurais aimé l’être, j’avais besoin de gagner de l’argent, alors j’ai commencé à travailler dans les cuisines. J’ai travaillé de bas en haut pendant douze ans et pendant tout ce temps, j’ai toujours eu un désir ardent de réaliser. Pendant tout le temps où je travaillais dans les cuisines, j’adorais ça, c’était une passion pour moi, apprendre à être créatif. Au cours de ces dix années, j’ai littéralement fait un voyage en montagnes russes, et j’ai vu et vécu tellement de choses que j’ai toujours pensé que cela ferait un bon film ou une émission de télévision.
Je suis sobre depuis sept ans, et vous savez, à l’époque où je travaillais dans les cuisines, je suis allé dans un endroit vraiment sombre ; l’alcool, la drogue, tout ça. Ma mère est morte il y a six ans, j’étais sobre depuis un an et c’était juste une confirmation de ma vie, vous savez, laissez-moi juste sauter de la falaise et voir ce qui se passe ici. Un de mes amis avait écrit un super court métrage sur un boxeur, je l’ai réalisé et j’ai eu le buzz. C’était comme si ma dépendance revenait, comme si c’était quelque chose dans lequel je pouvais entrer.
Combien de fois aviez-vous prévu de tourner la prise unique ? Pour combien de temps aviez-vous engagé les acteurs ?
C’était un défi en soi. Nous avons décidé de nous donner quatre nuits de tournage. Nous comptions faire deux prises par nuit. L’action se déroule en mars donc il fait encore jour. Nous devions arriver à 18 h. Mais les cas de COVID ont commencé à exploser. Le deuxième jour, nous nous sommes réunis et nous nous sommes dit que l’espace était trop exigu et que c’était trop risqué. Il y avait plus de 150 personnes en même temps. Nous n’avons donc eu que deux jours.
Comment avez-vous planifié les déplacements de caméra ?
Je les ai répétés tous les jours pendant deux semaines avec le directeur de la photographie, d’abord avec son téléphone, je jouais tous les personnages qui couraient dans le restaurant. Puis, nous avons utilisé un appareil photo réflex numérique. Ensuite nous avons construit une caméra, qui ressemblait à un sac à dos, ce qui lui permettait de la porter sur le dos, et l’objectif était amovible. Il pouvait la tenir comme un Réflex, le poids étant réparti sur l’ensemble de son corps. C’est ce qui lui a permis de faire ces longues prises. Pour le changement de batterie, chaque fois que nous allions à la table de Jason Flemyng, nous remplacions la batterie et les cartes. Nous avons tourné de nombreuses séquences sur les coulisses du tournage. Nous pourrions éventuellement les proposer sous forme de documentaire de 30 minutes pour montrer aux gens ce que nous avons enduré !