« Memory box » lundi 17 avril 20h30

Khalil Joreige, Joana Hadjithomas , (2002) Liban 1h42, Avec Rim Turki, Manal Issa, Paloma Vauthier

Montréal, le jour de Noël, Maia et sa fille, Alex, reçoivent un mystérieux colis en provenance de Beyrouth. Ce sont des cahiers, des cassettes et des photographies, toute une correspondance, que Maia, de 13 à 18 ans, a envoyé de Beyrouth à sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile. Maia refuse d’affronter ce passé mais Alex s’y plonge en cachette. Elle y découvre des secrets bien gardés.

Porté par quatre sensationnelles actrices, Memory Box est un chœur d’amour et de tristesse.

Il y a beaucoup d’originalité dans la manière dont les deux cinéastes s’invitent dans les souvenirs de la mère. Sa fille, Alex, devient le témoin privilégié d’un récit qui ne lui appartient pas mais dont ses aînés lui ont tu une grande partie des secrets. Elle découvre à travers les objets disséminés dans le carton une part inconnue de sa mère et de sa grand-mère. Surtout, elle entreprend un voyage à l’intérieur d’elle-même où elle doit faire la synthèse entre son identité canadienne et ses origines libanaises. Le scénario emprunte pour ce faire le langage moderne de l’animation et du montage téléphonique. Cela donne au film une couleur tout à fait originale, qui joue entre le réalisme, la fantaisie et les codes actuels de la jeunesse. A cette tonalité particulière s’ajoute une musique des années 80 réjouissante qui embarque le spectateur dans un passé virevoltant et aérien.Laurent Cambon

Cette tâche archéologique ardue , difficile pour les protagonistes et notamment pour Maïa, n’efface évidemment pas la guerre et les blessures infligées mais comme un travail psychanalytique, elle permet de dire le passé, le comprendre, de le transcender, éventuellement de se réconcilier avec soi et les autres, d’aller de l’avant plus légèrement. Et de parvenir vers la fin du film à une grande puissance émotionnelle. Memory box est aussi magnifique qu’utile (et pas seulement pour les spectateurs qui auraient été affectés par la guerre civile du Liban, cela va sans dire), un film dont l’intelligence, la force et la beauté sont encore plus émouvantes à la lumière de ce que vit le Liban actuellement Transfuge

L’interview de Joana Hadjithomas (JH) et Khalil Joreige (KJ)


Comment ne pas évoquer le présent et la catastrophe économique qui s’abat
sur le Liban mais aussi le fait que le film a été tourné avant l’explosion du 4 aout. N’y voyez vous pas un cycle terrible, celui d’un éternel recommencement ?



JH – Nous avons fini de tourner le film en mai 2019 et commencé à monter en pleine révolution, à l’automne de la même année. Une révolution contre les dirigeants corrompus et criminels et contre le système bancaire qui a pris en otage les libanais. Bien- sûr, cela résonne de façon tragique, comme un miroir terrifiant, avec de nombreuses pages de mes cahiers qui sont cités dans le film, et qui font écho à la violence de la guerre, la devaluation actuelle de la livre, l’insécurité, le désespoir et l’effondrement total des systèmes au Liban, la tentation, voire parfois l’obligation terrible de l’exil. Jusqu’à l’explosion tragique du 4 août, la troisième plus grosse explosion après Hiroshima et Nagasaki, qui a détruit un tiers de la ville et une partie de nos vies.

La mémoire traitée dans le film n’est pas seulement intime et familiale, mais aussi
collective, historique.


KJ – Une des questions que nous nous posons tous, quelque-soit notre vécu, est cette relation à la mémoire, au passé, à l’histoire et à sa possible transmission. Qu’est-ce qui demeure, qu’est-ce qui devrait demeurer ? Mais aussi comment réfléchir, à partir d’une histoire personnelle, le rapport à l’Histoire plus collective ? Notre travail d’artistes et de cinéastes interroge depuis des années la représentation de la violence, l’écriture de l’Histoire ainsi que les constructions d’imaginaire.


JH – Ce qui nous a fascinés en lisant mes cahiers, c’est qu’on ne comprend
pas vraiment les évènements mais on suit le quotidien, ce qu’on vit, ce qu’on
mange, ce qu’on fait dans l’abri, nos sensations, nos débats politiques. Tout
est vécu et raconté dans les moindres details. Et ces détails font totalement
partie de la mémoire collective.


KJ Pour Maia jeune, la guerre n’est pas une situation exceptionnelle, c’est son
quotidien. Les cahiers de Joana sont très indicatifs de cela. Maia veut vivre
avant tout. On envisage souvent les guerres civiles sous l’aspect du trauma, ce
n’est pas ce que nous montrons dans notre travail. Dans la correspondance de
Joana, ce qui apparaît surtout c’est le désir de vivre, d’aimer, de s’amuser, la
liberté et la pulsion de vie quoiqu’il arrive.


JH – La mémoire passe aussi par la sensualité, par certains gestes, par la texture
même du film. C’était très important de rendre visible, sensible l’immatérialité de
la mémoire. Cette mémoire invoque l’esthétique, les références, la musique mais
aussi parfois par de tous petits détails, comme le son du rewind de la cassette.
Ce son est un embrayeur de mémoire pour nous mais devient iconique peut-être
aussi pour une génération qui n’a pas forcément connu les cassettes. Si notre
film parle à la génération de notre fille, ce serait aussi une forme de transmission