2010 Tony Gatlif (France) avec Marc Lavoine, Marie-Josée Croze, James Thiérrée
France, 1943, quelques roulottes tziganes fuient la soldatesque allemande, Cette troupe débarque dans un village où elle avait l’habitude de participer aux vendanges. Théodore, le maire, et Mlle Lundi, l’institutrice membre de la Résistance, les accueillent au nom des valeurs républicaines. Mais pas mal de choses ont changé dans ce village français avec l’occupation et le régime de Vichy ……..
Gatlif a choisi une option générale intelligente : ne pas s’appesantir sur la représentation de la déportation et de l’extermination.
Les scènes situées dans un camp (français, en l’occurrence) occupent une petite part du film. Gatlif a préféré consacrer son énergie à la vie et au statut précaires des Roms pendant l’Occupation, beau choix de cinéma : interdits divers, lois anti-tsiganes, méfiance des populations locales, système D pour subsister…
Gatlif distille toutes ces infos historiques, les mêlant à la culture rom déjà montrée dans ses films précédents : rapport à la musique, à la nature, aux bêtes… Quand il plonge ainsi dans la gestalt tsigane, le film devient intemporel, échappe à son cahier des charges historique. Inrock
Plein de vitalité et de musique, le film de Tony Gatlif donne à voir de l’intérieur une communauté dont la persécution pendant la Seconde Guerre mondiale a été longtemps occultée. Loin du film de genre, Liberté délaisse la confrontation habituelle entre bourreaux et victimes pour une approche à la fois plus juste et plus complexe. On y découvre ainsi les Tsiganes à travers les liens qu’ils développent avec la population locale : l’institutrice, qui tente de négocier la scolarisation des enfants; Théodore, le maire du village, ou encore P’tit Claude, un enfant recueilli par le maire après la disparition de ses parents et qui va instinctivement s’attacher à cette famille, à son mode de vie et son univers culturel. Humanisme, résistance, tolérance et solidarité sont des valeurs magnifiées par le film de Tony Gatlif, qui fait ressortir avec d’autant plus de force la barbarie du racisme.
Tony Gatlif
est né d’un père kabyle et d’une mère gitane à Alger. En 1954, un instituteur créé un ciné-club suscitant l’intérêt des enfants. Toni découvre à cette occasion le cinéma et désire devenir acteur. Lorsqu’à 12 ans, sa famille tente de le marier à une fillette qu’il ne connaît pas, il refuse et s’en va vivre comme cireur de chaussures .
De là, il rejoindra la France en 1960 durant la Guerre d’Algérie. S’ensuit un parcours difficile qui ira de la maison de redressement à une rencontre avec l’acteur Michel Simon en 1966 qui le recommandera à son entourage. Et après des cours d’art dramatique, il jouera au cinéma, au théâtre, à la télévision, avant de passer à la réalisation en 1975.
Chantre des Roms, sa carrière est jalonnée de belles réussites, de Latcho drom à Tom Medina en passant par Gadjo dilo, swing, Géronimo et bien d’autres créations
L’interview
Vous n’avez pas filmé l’histoire mais une histoire. Pourquoi ce parti pris ?
Tony Gatlif. C’est un parti pris humain. Un film historique aurait été rébarbatif. Il n’y a rien de pire qu’un film historique, pour moi, c’est de l’anti-cinéma. Je ne suis ni ethnologue ni tsiganologue, je fais avec ce que je sais faire : l’émotion. Et l’émotion, elle est dans l’histoire de cette petite famille pourchassée par les nazis, les gendarmes et les miliciens. On rentre dans la communauté des Tsiganes, on est avec eux, la caméra est avec eux, on n’est pas des voyeurs… L’irruption de trois personnages qui sont, à leur manière, des hommes justes, des hommes de cœur, préserve que le film devienne une histoire de bourreaux et de victimes. Je ne voulais pas tourner un film d’horreur. Je sais qu’il y aura toujours des gens pour dire « non ».
Parlez-nous du casting.
Tony Gatlif. Pendant le tournage, ça parlait russe, albanais, yougoslave, roumain, hongrois, tsigane… Tous avaient des interprètes. Mais les Roms de l’époque, c’était un peu ça. Sur le film, une famille de Transylvanie a débarqué avec ses instruments de musique et ses outils de forgeron anciens. Vous ne pouvez pas imaginer combien le son du marteau de cette époque n’a rien à voir avec celui de notre époque
Pourquoi ce film aujourd’hui ?
Tony Gatlif. Le monde a changé. J’ai fait des tentatives où j’effleurais cette question de l’internement et de la déportation en laissant des indices, mais j’avais peur. Je ne me sentais pas prêt. Cette histoire est injuste. Elle est cachée. On ne cache pas 250 000 personnes mortes gratuitement, pour rien…
Qu’est-ce qui a donc failli au niveau de la transmission ?
Tony Gatlif. Cette histoire n’est pas dite, elle est tue. Les gitans sont fiers, et c’est très dur de dire, c’est humiliant. Un homme violé ne raconte pas son viol. La fierté empêche de raconter. Et puis, ils ont eu peur. Parler des morts, c’est les convoquer. Dans cette culture, on ne dérange pas les morts. D’ailleurs, jamais on ne garde les vêtements, les roulottes des morts. On brûle tout.