(2017) animation 1h36,en partenariat avec Objectif sud, un film de Ali Soozandeh
Téhéran : une société schizophrène dans laquelle le sexe, la corruption, la prostitution et la drogue coexistent avec les interdits religieux. Dans cette métropole grouillante, trois femmes de caractère et un jeune musicien tentent de s’émanciper en brisant les tabous

En coulisses de l’obligatoire mise en scène se révèlent des espaces de liberté mais également de nouvelles formes d’asservissement. Derrière le rideau, les inégalités sociales apparaissent plus clairement entre ceux qui ont les moyens de la corruption et les autres tandis que la phallocratie persiste, s’appuyant sans cesse sur la menace d’une dénonciation, toujours plus terrible pour les femmes. N’hésitant pas à jouer sur tous les tons, de la noirceur la plus épaisse à la légèreté (même si les traits se révèlent parfois un peu grossiers lorsque le film tente d’émouvoir), Soozandeh fait ainsi de son Téhéran tabou bien plus qu’une peinture sociale de l’Iran contemporain. Par son jeu d’échelles autour des procédés de dissimulation qui se répercutent sur les différentes strates d’une société, le film offre un regard sur des stratégies de survie sociale que l’on retrouve bien au-delà de son ancrage géographique. Critikat
Le mystère qui flotte autour de ces personnages contribue à l’efficacité du scénario puisque la part d’ombre de chacun n’est dévoilée que progressivement, jusqu’à une ultime révélation, aussi inattendue que tragique. Ali Soozandeh parvient ainsi à maintenir l’intérêt de son spectateur jusqu’au bout et le surprend par un final vertigineux, dans tous les sens du terme. Cette maîtrise du suspense est d’autant plus remarquable que le réalisateur signe avec Téhéran Tabou son premier long-métrage. Sophie Yavari

A croire que le coup d’éclat, en 2008, de Valse avec Bachir d’Ari Folman – film très admiré par Soozandeh et dont Téhéran tabou partage la veine esthétique et l’ambition critique – n’est pas venu à bout des vieux réflexes. Heureuse ironie : c’est justement le choix de l’animation, plus précisément de la technique choisie, qui suscite aujourd’hui la curiosité, nimbe le film d’une certaine poésie et l’empêche de s’enfermer dans son principal défaut – celui d’un pamphlet voulu extrêmement corrosif, au risque de la démonstration permanente, dont la charge transparaît presque trop frontalement dans chaque situation. Le tournage en Iran étant impossible, Ali Soozandeh a en fait opté pour l’animation en rotoscopie, après des essais en technique 3D et en marionnettes. Des acteurs européens d’origine iranienne venus d’Allemagne, de Suisse ou d’Autriche ont été filmés sur fond vert en prises de vues réelles puis redessinés. L’esthétique mêle ainsi réalisme et distanciation, induit un écart, un éloignement, et agit finalement comme la métaphore du regard que le réalisateur pose aujourd’hui sur son pays natal. Comme un rappel permanent mais pudique de son histoire. Ève Beauvallet
L’interview
Parlez-nous de votre relation avec l’Iran.
Je suis né en Iran et j’ai vécu là-bas jusqu’à mes 25 ans. J’habite en Allemagne depuis 1995. Je suis le seul de ma famille à vivre à l’étranger. J’avais 9ans lors de la révolution islamique. J’en ai vraiment ressenti l’impact quand les filles et les garçons ont
soudain été séparés à l’école.

Pourriez-vous décrypter le contexte social de l’Iran d’aujourd’hui et décrire ces tabous auxquels le titre du film fait référence?
Briser les tabous, c’est protester. En Iran, les prohibitions juridiques et les restrictions morales façonnent le quotidien. Mais, dès que la sexualité est réglementée, les gens trouvent toujours comment contourner les interdits. À ce jeu-là, les Iraniens
se montrent très créatifs. L’absence de liberté les pousse à avoir une double vie, un double standard de valeurs. Dans leur vie sociale, ils font preuve d’une austérité de façade. Dans leur vie privée, le sexe, l’alcool, les drogues sont parfois sans limites.
Quel est le rôle des femmes dans la société
contemporaine?
Les représentations que les Occidentaux se font de l’Iran sont toujours du domaine du cliché. Ce sont des stéréotypes qui vont de l’exotisme des Mille et Une Nuits, à la férocité du régime islamique, en passant par la menace nucléaire. Mais la réalité qu’on voit dans les rues de Téhéran est bien plus diverse. Les femmes sont souvent plus éduquées que les hommes et ont un rôle plus visible dans la vie quotidienne que dans d’autres pays islamiques, comme l’Arabie Saoudite. Il n’y a pas qu’un seul type de femme moderne
iranienne. Cela va des fondamentalistes religieuses aux féministes occidentalisées. Ces dernières n’ont aucun moyen de s’exprimer en public. Dans ce jeu de vertus de la société iranienne, ce sont elles qui souffrent le plus.