REPORTÉ « Corniche Kennedy » vendredi 13 Nov 14h

Dominique Cabrera (2017) France 1h34 avec Lola Créton, Aïssa Maïga, Moussa Maaskri

Dans le bleu de la Méditerranée, au pied des luxueuses villas, les minots de Marseille défient les lois de la gravité : filles et garçons plongent, s’envolent, prennent des risques pour vivre plus fort. Suzanne les dévore des yeux depuis sa villa chic. Leurs corps libres, leurs excès. Elle veut en être. Elle va en être.

Corniche Kennedy, adapté du roman de Maylis de Kerangal, est un film de territoire, et comment on peut construire, envers et contre tout, son propre lieu – en l’occurrence d’une beauté folle – à l’intérieur d’un mince espace qui appartient à tous, en dépit des condominiums et des villas qui le surplombent, et des indestructibles barrières de l’entre-soi. Une lumière dorée enrobe les jeunes gens, les rochers sont un écrin, le ciel et la mer leur domaine – et la politesse de Dominique Cabrera est de ne jamais piétiner la liberté que s’arrachent les personnages en les réassignant à une origine géographique déterminée et aux clichés qui l’encombrent. Le film n’efface rien : ni le glauque, ni la déréliction, ni les «zones de non-droit», ni la prison des Baumettes, si près qu’on pourrait la voir si la caméra basculait, il les maintient dans le discours, mais toujours hors champ. Son originalité, et ce pour quoi il nous euphorise légèrement, est de parier que c’est la beauté qui est subversive, et non son saccagement Anne Diakine

La réussite de Corniche Kennedy tient à un remarquable travail sur la photographie (Isabelle Razavet en directrice de la photo) : les miroitements de l’eau et la lumière naturelle du bord de mer sont d’une grande beauté visuelle. L’énergie insufflée par les scènes de sauts et le décor marin restituent la force minérale et organique de la langue de Maylis de Kerangal. La caméra capte les flux de la nature dans d’infimes détails : dans le clignotement irisé des tentacules d’un poulpe, dans le mouvement des nuages ou des herbes automnales, dans les rochers baignés de lumière chaude. Le scénario reste à la surface des émotions, épouse les sensations d’immédiateté, détaille la chair de jeunes corps lézardant au soleil. Ce décor de littoral, harmonieux, est un contrepoint au milieu urbain, traversé de dissonances sociales et de violences meurtrières. Culturopoing

Le coup de force de Dominique Cabrera dans Corniche Kennedy est d’avoir su entremêler le genre documentaire (en prenant notamment des acteurs non professionnels, adeptes du plongeon à Marseille, pour jouer les jeunes de la corniche) et le genre fictionnel, recouvert d’une matière poétique particulièrement dense. Il s’agit d’un film universel sur la merveilleuse complexité de l’adolescence, prise dans l’étau du présent et du fantasme. Utopia

L’interview

Comment avez-vous trouvé les autres jeunes protagonistes de Corniche
Kennedy ?


Depuis Nadia et les hippopotames, où des cheminots jouaient des rôles
secondaires, je voulais faire un film entièrement avec des non-professionnels.
Avec Corniche Kennedy, c’était l’occasion d’aller plus loin. Il me semblait en
effet plus juste d’engager des jeunes de Marseille adeptes du plongeon auxquels
il faudrait apprendre à jouer que des jeunes acteurs venus d’ailleurs à qui
apprendre à plonger et à parler marseillais… Encore fallait-il les trouver. Bania
Medjbar, ma directrice de casting, a crapahuté au bord de la mer, elle a repéré
des jeunes gens et on a constitué ce groupe d’adolescents.


Et pourquoi Lola Créton, une actrice professionnelle, pour jouer Suzanne
la jeune fille des beaux quartiers ?


Au départ, je voulais trouver une jeune non-professionnelle mais je n’avais le
déclic pour aucune des jeunes filles et Lola Créton, je l’avais remarquée dans Un amour
de jeunesse de Mia Hansen-Løve. Il m’a semblé que la distance géographique
et sociale serait bonne pour le film. Je me souviens de la première fois où Lola est
venue faire des essais à Marseille. J’ai pensé : « Elle ne va jamais vouloir faire
ce petit film avec des minots. » Et puis je l’ai emmenée sur la Corniche, je l’ai
vue marcher dans cet endroit sublime et je me suis dit : « Elle comprend dans
quel écrin elle va être filmée, elle va dire oui ! »


Le film se passe entièrement en extérieur, essentiellement sur cette
Corniche qui laisse hors-champ les différences de classes qui sont
pourtant un élément important du film…


Ce principe était déjà fort dans le roman et j’ai voulu le radicaliser dans le film.
Le fait que mes héros aient le ciel et la mer comme fond de leur portrait les
ennoblit. La question sociale est là très forte dans le film mais dans les mots,
dans les situations, pas dans le décor. Ces jeunes sont portés à se dépasser
par ce paysage naturel sublime et… gratuit. C’est une richesse que cette ville
donne à ses habitants d’être au bord de la mer, dans ce paysage d’autant
plus merveilleux quand il est filmé par le cinéma.
Je voulais montrer ces adolescents dans leur élan vital, leur beauté, leur
humanité, leur grâce, leur force, leur poésie, leur liberté. Ils ont vingt ans, l’âge
des possibles. Malheureusement, l’un de ces possibles dans cette ville est
d’être enrôlé dans le crime organisé. Mais il y aussi d’autres possibles.

Dominique Cabrera

est naît en Algérie, dans une famille pied-noir rapatriée en France en 1962. Après une licence de lettres, elle entre à l’IDHEC en 1978. En 1981, elle réalise son premier court-métrage . Les documentaires qu’elle réalise ensuite la font connaître pour le regard original qu’elle porte sur la vie sociale en banlieue,

Pour Dominique Cabrera, il n’existe pas de frontière entre le documentaire et la fiction; les deux sont une question de concrétisation. Elle réalise en ce sens en 1995 son premier long-métrage, Demain et encore demain, un film autobiographique, journal d’une cinéaste en proie aux doutes et aux angoisses. En 1996, elle dirige Claude Brasseur dans L’ Autre côté de la mer, un film à la fois nostalgique et largement autobiographique, sur le déracinement de la communauté des pied-noirs algériens. En 1999, elle tourne Nadia et les hippopotames, mettant en scène Ariane Ascaride et Thierry Frémont. Ce film a pour contexte les grèves de l’hiver 1995 en France. En 2001 ce sera Le Lait de la tendresse humaine avec Patrick Bruel et Marilyne Canto, cette histoire de Baby blues est excellemment reçu par la critique . Suivra Folle embellie avec Miou-Miou et Jean Pierre Leaud