de Jean-Bernard Marlin (2018) avec Dylan Robert, Kenza Fortas, Idir Azougli… France 1 h 49.
Zachary, 17 ans, sort de prison. Rejeté par sa mère, il traîne dans les quartiers populaires de Marseille. C’est là qu’il rencontre Shéhérazade…

Avec sensibilité et intelligence, Jean-Bernard Marlin a construit ce film autour d’une question d’actualité : le respect pour la femme, quelle qu’elle soit. En plongeant dans un milieu machiste, où le mépris pour les filles de la rue conforte un sentiment de domination, le jeune cinéaste séduit, d’abord, par sa générosité, et impressionne, finalement, par son courage et sa vigueur critique. Au milieu de ce qu’on nomme aujourd’hui un peu trop facilement, pour qualifier les excès, facilités et paresses d’un certain réalisme, le cinéma «naturaliste» (mot galvaudé jusqu’à être devenu péjoratif), Shéhérazade(lauréat du prix Jean-Vigo 2018) fait figure de beau contre-exemple, tant il est tenu de bout en bout avec une justesse et une honnêteté admirables. Marcos Uzal
Avec une énergie folle et une profonde tendresse pour ses personnages qu’il ne jugera jamais, le réalisateur tord le cou à la tentation du pseudo-réalisme documentaire et de l’apitoiement pour raconter une histoire d’amour fou entre deux adolescents propulsés dans un monde de violence au cœur d’une cité gangrenée comme tant d’autres par la pègre, le chômage et les inégalités sociales. Cela pourrait être glauque, s’enfoncer dans la crasse des chambres de passe minables, s’enliser dans les règlements de compte au ras du trottoir, c’est au contraire un film qui avance pas à pas vers la lumière, guidé par un espoir qui fait jaillir comme par miracle l’amour pur du plus vil des terreaux.
La grande force du film réside dans le refus de faire la distinction entre cinéma de genre et cinéma de poésie, dans la volonté de s’affranchir des clichés du polar à la française aussi bien que des bonnes manières du cinéma d’auteur. Shéhérazade opte pour une stylisation virtuose arrachée à des conditions très précaires de tournage, entre ambiances nocturnes sous haute tension et comédiens non professionnels. Utopia
L’enjeu de son récit net, épuré, n’est pas tant le caractère inéluctable du destin d’un enfant des cités que ce qui peut faire dévier un individu de la trajectoire qui semblait lui être assignée. Le grain de sable dans cet engrenage de peur et de violence sera ici l’amour.Mais c’est alors que la question se précise encore : si un jeune homme peut tomber amoureux d’une femme qu’il ne devait pas aimer (puisque ce n’est « qu’une pute »), saura-t-il pour autant (se) l’avouer ? La réponse que propose le film est à la fois optimiste et étonnamment peu romantique. C’est encore une fois une question de langage : entre les raccourcis qui peuplent celui de la rue et la froideur clinique qui fonde celui de la justice, souvent mal ajustés au réel, les personnages du film auront par moments su trouver une troisième voie, permettant à une vérité intime de s’exprimer plus justement Critikat

ENTRETIEN AVEC JEAN-BERNARD MARLIN
Comment êtes-vous devenu cinéaste?

J’ai grandi à Marseille dans un milieu modeste. Mon désir de cinéma remonte à l’enfance, à la découverte de E.T. et autres films du même genre à la télévision. Quand j’avais 16 ans, il y avait un atelier cinéma dans une MJC, animé par quelqu’un qui m’a fait découvrir le cinéma d’auteur -Puis j’ai passé le concours de l’école Louis Lumière où j’ai été admis et formé au métier de directeur de la photo. Puis j’ai fait un atelier scénario d’un an et demi à la Femis.
D’où vient l’idée de ce film ?
Un fait divers, à Marseille , un petit proxénète, de 16 ans, en fugue, est arrêté dans un hôtel de passe du centre-ville où il vit avec deux filles prostituées de son âge. Pendant plusieurs mois, ils vivent de l’argent de la prostitution. On l’accuse de proxénétisme. Eux, ils vivent une histoire d’amour. C’était assez violent entre eux, il y avait des coups échangés. Cette histoire, je l’ai rencontrée plusieurs fois dans la rue, à Marseille.
Le casting a dû être une étape longue et capitale…
Il a duré près de huit mois . On a fait essentiellement du casting sauvage. La directrice de casting, Cendrine Lapuyade, et toute son équipe, a cherché dans tous les quartiers de la ville pour dénicher les acteurs principaux du film, en passant par les foyers, les sorties de prison. Dylan Robert, le comédien principal, est très proche de Zachary, son personnage. Je l’ai rencontré , juste après sa sortie de prison de l’Établissement pénitentiaire pour mineurs de Marseille, le même que celui que l’on voit dans le film. Quand il sort de prison au début du film, il « rejoue » donc ce qu’il a vécu vraiment dans la vraie vie, trois mois auparavant, avec les mêmes surveillants de l’administration pénitentiaire… Avec les autres acteurs, j’ai recherché de la même façon cette coïncidence entre le réel et le scénario du film. Du coup, beaucoup d’acteurs jouaient leur propre rôle, y compris les avocats et les éducateurs que cela amusait beaucoup. La juge est jouée par une avocate.