Nuri Bilge Ceylan (2018) Turquie 3h08 avec Aydin Dogu Demirkol, Murat Cemcir, Bennu Yildirimlar, Hazar Ergüclü
Passionné de littérature, Sinan a toujours voulu être écrivain. De retour dans son village natal d’Anatolie, il met toute son énergie à trouver l’argent nécessaire pour être publié, mais les dettes de son père finissent par le rattraper…

Par sa maîtrise, son lyrisme, son audace tranquille (on songe au discours contradictoire des imams zigzaguant sur un chemin escarpé). Voir un cinéaste, au sommet de son art, construire ainsi, de film en film, une œuvre que l’on sait, désormais, importante, donne le frisson. Télérama
Ces silhouettes qui se croisent, s’expliquent et s’affrontent dessinent, peu à peu, le projet de Nuri Bilge Ceylan, encore plus ambitieux que celui de Winter Sleep, pourtant si réussi : capter comme Anton Tchekhov savait le faire — en douce et en douceur — le mal-être d’un pays, peut-être même d’une société. Au téléphone, Sinan parle avec un copain, devenu flic anti-émeutes, qui apaise son stress en tapant comme un forcené sur les rares manifestants osant s’opposer à l’autorité. Quelques brefs instants, où le temps semble se suspendre, il rencontre, sur un chemin embrasé de lumière, la fille merveilleuse qui osait tout affronter, autrefois, et qui a rendu les armes : prête à épouser, pas même le semi-vaurien qu’elle aimait, mais un vieux qui la rendra riche et malheureuse. « La vie semblait à notre portée. Elle est si loin de nous, désormais », dit-elle avant de disparaître à jamais Pierre Murat

Interview du réalisateur
Mais les très longs plans-séquences, vous les aviez prévus dès le début ?
Non, au départ, je ne prends aucune décision. J’utilise beaucoup d’alternatives pour pouvoir décider au montage. Car à ce stade, vous êtes condamné aux images que vous avez en mains, vous ne pouvez pas, comme un romancier, changer un mot et en insérer un nouveau.
Les dialogues sont en revanche très écrits…
Oui, tout est écrit à l’avance. Une toute petite part est laissée à l’improvisation. Cela a influencé le casting. J’ai essayé de ne retenir que ceux qui étaient capables d’apprendre par cœur des pans de dialogue énormes, mais aussi de les intérioriser, pour ne pas donner l’impression de les réciter.
Des professionnels ou des amateurs ?
Fifty-fifty. Le rôle principal n’est pas un professionnel, il ne vient pas du théâtre mais du stand-up, c’est son premier film. On le voit dans chacune des scènes, et lors du casting, c’est le seul à m’avoir donné l’impression qu’il pouvait relever ce défi. Il ne ressemblait pas à ce que j’envisageais, je voulais quelqu’un de plus maigre… Mais j’ai vu qu’il était capable de soulever cette charge. Le jeune imam est un amateur aussi : c’est Akin, mon coscénariste.
Le film est un drame, mais souvent très drôle dans sa manière de regarder son héros…
Oui. A l’âge que j’ai, il m’arrive désormais de trouver comiques énormément de situations. Dans le film, je crois que ces situations naissent du fait qu’un jeune, pour pouvoir exister, essaie d’extérioriser, d’une manière un peu amateure, tout ce qu’il a en lui. C’est également ce que j’ai vécu moi-même étant jeune, enfin jusqu’à un certain point. Les relations humaines sont à la base comme ça : pour gagner la lutte, l’homme déverse tout ce qu’il a en lui.
Vous avez grandi dans cette région, non loin de Troie, et l’on voit dans le film une réplique du cheval de bois. Quelle résonance a ce site pour vous ?
Pour les habitants de la région, lorsque j’étais enfant, Troie n’était pas un sujet. Mais pour moi si, car mon père était un passionné d’histoire et nous emmenait souvent sur le site. Ce qui m’a marqué, c’est surtout ce qu’en a raconté Heinrich Schliemann [archéologue allemand amateur, découvreur des sites de Troie et de Mycènes, ndlr] dans ses livres. Mon père était capable de raconter cette chronique comme si c’était un conte…
Nuri Bilge Ceylan
Ingénieur électricien de formation, il n’a jamais exercé ce métier. Mû par une passion pour la photographie,Ceylan a très vite bifurqué vers le cinéma. Ceylan se forge une culture cinéphilique solide et exigeante en fréquentant assidûment les ciné-clubs. « Ozu, Bresson, Tarkovski et Antonioni ont été mes compagnons de route. » Devenu photographe professionnel, il travaille une quinzaine d’années pour la publicité –

Si l’éclosion de son œuvre apparaît tardive, elle témoigne cependant d’une maturité thématique et esthétique profonde. En artisan patient et obstiné, Nuri Bilge Ceylan creuse le même sillon depuis Koza, son premier court métrage, en 1995, jusqu’à parvenir à l’épure de son art. Empreint d’une sensibilité mélancolique et poétique, il dépeint un univers très personnel marqué par une quête permanente de la « destinée humaine ». Sa trilogie – Le Kasaba, Nuages de mai, qui porte la marque du maître iranien Abbas Kiarostami, et Uzak, déroule un cycle des saisons propice à saisir l’indicible des relations humaines.
La méthode Ceylan s’apparente à un artisanat familial. Une équipe technique réduite au strict minimum – deux techniciens pour Kasaba, cinq pour Uzak.Un budget serré. Un découpage très construit, mais malléable aux éléments imprévus, telle la tempête de neige qui s’abat sur Istanbul durant le tournage. « Viendront ensuite : Les Climats2008 : Les Trois Singes2011 : Il était une fois en Anatolie2014 : Winter Sleep Palme d’or à Cannes en 2014