« Mr Gaga , sur les pas d’Ohad Naharin  » Mercredi 11 mars 20h30


(2015) Israël-1h40 Tomer Heymann

L’histoire d’Ohad Naharin, célèbre chorégraphe de la Batsheva Dance Company dont les performances dégagent une puissance et une beauté inégalées, est fascinante. Le film dévoile le processus créatif d’un chef de file incontesté de la danse contemporaine, l’invention d’un langage chorégraphique unique et d’une technique de danse hors-norme appelée Gaga.

Mr Gaga est plus que le récit d’une vie d’artiste : preuve en est le succès que le film connaît en Israël depuis sa sortie, et qui est dû autant au statut d’icône d’Ohad Naharin qu’aux qualités de ce documentaire porté par un souffle singulier, à la fois intimiste et spectaculaire.

Ce qui est remarquable chez Naharin, et remarquablement capté par Heymann, c’est son regard à la fois rigoureux et tendre sur ses danseurs. Il y insiste : ce n’est pas la chorégraphie qui l’intéresse mais la façon dont elle permet aux danseurs de s’exprimer. C’est pourquoi, si le film vibre des extraits de spectacles où se déploie l’harmonie vigoureuse de la troupe, il est dominé et scandé par la répétition, comme moment de partage et d’échange. La quête de la perfection – dans le tombé d’un corps, la palpitation d’une main, la recherche d’une émotion – crée un dialogue intense entre le maître et ses danseurs-disciples, qui se livrent à lui avec une entière confiance. (Huma)

Qu’on soit féru de danse où néophyte, ce qui subjugue dès la première image, c’est cette exultation des corps, ce sentiment de liberté inouie, de plaisir à se sentir vivant. Les corps sont extraordinairement déliés à force de mouvement et expriment mieux que les mots toute la gamme des sentiments humains : la passion, le désir, la douleur, le bonheur… Bien au-delà de la performance technique, il y a l’expression des visages, des regards, des voix : la danse est ici don absolu de soi, communication totale avec les autres et c’est d’une beauté confondante parce que jamais gratuite, jamais déracinée. (Utopia)

l’interview


Ohad Naharin. La symétrie par exemple est une pure illusion. Le danseur fait un mouvement à droite, puis tente de le reproduire exactement de la même façon à gauche. Et ça le bloque, parce que la gauche n’est jamais exactement pareille que la droite. Avec mes danseurs nous avons un exercice que nous avons surnommé « j’emmerde la symétrie ». J’enseigne le plaisir de l’asymétrie, je tente de porter attention aux différences infimes entre droite et gauche. Cela peut créer des formes encore plus belles, plus pures.

Dans le film, vous chantez « nous devons mentir »… Et ça sonne comme une vérité


Ohad Naharin. Hum… Mentir ? Prononcer un mensonge, c’est faire appel à son imagination. Quand on croit dire la vérité, souvent on la tord : comme quand Tomer vous dit à quel point cela a été difficile de faire « Mr Gaga ». Et que moi, je vous affirme le contraire. Où est la vérité ? Tout ce qu’on construit, les théories, les croyances a à voir avec l’imagination. Et les gens veulent que ce soit la vérité. Certains croient en Dieu, ils en parlent, ils vivent en fonction de lui… Mais Dieu n’existe pas ! Pas plus que l’âme ou le cœur. C’est quoi le cœur ? Un organe qui distribue le sang dans le corps. Mais ça nous aide d’en faire le siège des sentiments.

Le film commence et finit par une chute. La chute a-t-elle à voir avec la danse ?


Ohad Naharin. Ce début et cette fin, c’est le choix de Tomer. Mais il est vrai que je cherche à donner suffisamment d’assurance physique à mes danseurs pour qu’ils puissent tomber sans se faire mal. Dans ma vie aussi, je cherche à créer une sécurité qui me permette de tomber de toute ma hauteur sans me briser. La chute, c’est aussi éprouver la gravité dans sa chair. La force la plus importante qui détermine la danse et la vie… Tomber, c’est lâcher prise, se libérer de toute tension, s’abandonner. C’est important de ne craindre ni de tomber ni de se tromper.

Ohad Naharin

est d’une fascinante beauté, d’une grâce animale sans cesse en mouvement. Depuis qu’il est né, il danse comme il respire, à tout propos, à tout moment, sans apprentissage ni contrainte, comme possédé par une jouissance chronique à se sentir bouger. Devenu grand, lorsque ce don des dieux devient une évidence pour tous, il se met à l’apprentissage de la technique avec les plus talentueux, mais après vingt-deux ans de liberté, c’est un peu tard pour accepter de se plier aux conceptions des autres. De Marta Graham à Béjart, il ne supportera pas qu’on lui impose de danser d’une façon qui ne lui corresponde pas profondément. Il créera donc son propre style et il l’appellera le style Gaga, le premier mot qu’il n’ait jamais prononcé d’après sa mère… une façon de souligner le côté ludique et dérisoire des choses. Ohad Naharin est né dans un Kibboutz et il en a gardera toute sa vie le goût du collectif, de l’élan partagé. Profondément attaché à ses origines, il ne pourra pas longtemps rester aux États Unis et reviendra en Israël pour prendre la direction de la Batscheva Dance Compagny, entrainant dans l’aventure Mari Kajiwara, son amoureuse fusionnelle et formidable danseuse