à 20h30 ciné3
Léa Fehner (2016) France 2h30 Avec: Adèle Haenel, Marc Barbé, Lola Dueñas
Auto fiction « enchantée » à l’énergie contagieuse, il y souffle un vent de liberté lucide sans fatalité. C’est une fable sur la noblesse des saltimbanques/comédiens qui avec ce théâtre cabaret itinérant forment une grande famille. Mélange d’amour et d’amitié où chacun essaye de trouver sa place au milieu d’une joyeuse ambiance musicale. Beaucoup de rires et quelques larmes. On a dit de ce film, que c’était Fellini chez Fritz le Chat… C’est surtout le théâtre condensé du monde qui est montré…Les « Ogres » mangent la vie à travers leur façon de véhiculer la Culture là où il y en a peu.
Drôle de road-movie perpétuel que celui de la troupe du Davaï, théâtre itinérant où il faut, à chaque étape, se lancer dans un rituel éternellement renouvelé. Planter le chapiteau, aller appâter le chaland : faire la parade quoi qu’il arrive ! Donner le change même si le temps ou quelques-uns font grise mine. C’est comme un sacerdoce païen, grivois, libertaire. Un engagement au service d’un art populaire où l’on rend la culture à la rue. La gravité, les grands mots camouflés sous le voile de farces légères, voilà nos saltimbanques prêts refaire le monde sans trop d’illusion. C’est une vie de bohème tout à la fois exaltante et éprouvante dans laquelle François, le fondateur de la troupe, a entraîné femme, enfants, comédiens et, dans leur sillage, une ribambelle de loupiots incontrôlables, à l’instar de leurs aînés.Une famille d’adoption qui protège mais où l’on n’échappe jamais tout à fait au regard des autres. Ici tout se sait et on rigole de tout, sinon on boit pour oublier. En tout cas on ne fait rien dans la mesure. Ce n’est pas le premier film sur le monde itinérant à avoir été projeté dans les salles ; malgré tout c’est avec un regard innovant, fin et très proche des personnages que nous découvrons un monde entre travail, famille, obligations et plaisirs de la vie. ( Camille Pialoux )
Si Léa Fenher dépeint ses personnages avec autant d’humour et si peu de complaisance, si elle ose les chatouiller et les égratigner jusqu’à la moelle épinière, c’est qu’il coule en elle le même sang. Être une ogresse et l’assumer fait partie de ses gènes. C’est comme un exorcisme aux vertus libératoires qu’elle nous offre là. Elle semble avoir chaussé ses yeux de petite fille pour filmer avec émerveillement l’exubérance déconcertante de ces géants, ces monstres de scène, ces adultes qui peuplèrent son enfance pour le pire et le meilleur, à commencer par ses propres parents
L’interview
Parlez-nous de votre envie de réaliser ce film ?
Léa Fehner : J’ai grandi sur les routes dans les années 1990, aux côtés de mes parents qui ont décidé de tenter l’aventure, héritée des forains et du théâtre de Molière. Ils avaient envie de porter le théâtre là où il n’y en n’a pas, ils ont un appétit de jeu et de partage. Pour autant, le film reste une fiction inspirée des hommes et des femmes de mon enfance, qui ont un goût excessif de la vie et qui ont tenté le rêve du collectif. C’est un mélange de la réalité âpre et violente et de burlesque. J’avais envie de traduire le souffle romanesque de ces choix de vie. Je voulais aussi montrer que les choses ne sont pas univoques et ne sont pas d’un seul tenant dans la vie en communauté. C’est un film avec ses paradoxes : d’un côté la fête du groupe, le mouvement, l’agitation et de l’autre le besoin de respiration de chacun à l’extérieur.
Pourquoi ce titre Les Ogres ?
L F : Je voulais un titre énergique, qui rappelle l’appétit joyeux, tonitruant, fracassant des artistes. Ce sont des gens qui ont un désir profondément vivant, une envie de tout, une envie de croquer la vie de façon vorace ! Ils ont la foi intime de penser que le mélange spectacle-vie se nourrit l’un de l’autre, et que plus le spectacle est fort, plus la vie est intense. Il y a un aspect rabelaisien, monstrueux avec les ogres, une démesure, un certain panache ! Et puis un ogre va jusqu’à manger ses propres enfants.
Comment avez-vous choisi les acteurs, dont votre propre famille, et comment s’est passé le tournage ?
L F : Au départ, ce n’était pas prévu de faire jouer ma famille. J’ai travaillé mon scénario et réfléchi à la dramaturgie des sentiments plutôt qu’à celle des événements. Puis j’ai éprouvé le besoin de l’enrichir au contact de la troupe de mes parents : l’Agit. Rechercher une cohérence porteuse de sens entre le scénario et la réalité était important pour moi. Les artistes se sont mis à improviser, et ils se sont naturellement retrouvés sur le tournage, car la tournée itinérante était transposable dans le film. On a gardé tous leurs prénoms mais on a évité le risque du psychodrame en faisant jouer mes parents !
Léa Fehner
commence ses études à la Femis dans le département scénario. Elle y écrit celui de Qu’un seul tienne et les autres suivront, qui lui permettra d’être diplômée en 2006. C’est ce scénario qu’elle choisira pour tourner son premier film en 2008. Son film remporte un vif succès , reçoit à Deauville le prix Michel d’Ornano et décroche le prix Louis Delluc du meilleur premier film en 2009.