Manuela Martelli (2023) Chili 1h35 Avec Aline Küppenheim, Nicolás Sepúlveda, Hugo Medina
Chili, 1976, Carmen, petite bourgeoise sans histoire s’occupe d’un jeune à la demande du prêtre qu’il héberge en secret…….
Plus qu’un simple thriller, Chili 1976 trace un portrait de femme délicat et profond

Écrit et réalisé comme un polar intimiste, le film de Manuela Martelli brosse avec délicatesse et une belle palette de nuances le portrait de Carmen – et à travers elle celui du Chili de ces années-là. Par petites touches, la réalisatrice raconte les ambiguïtés, les antagonismes d’une bonne société pour qui la peur-panique du communisme a justifié l’instauration d’un État d’urgence et permet toutes les exactions – mais se marie difficilement avec les préceptes de l’Église. Laquelle est violemment partagée entre une hiérarchie réactionnaire proche du pouvoir militaire et une base, prêtres, curés, largement gagnée au courant de pensée de la théologie de la libération . Tout en subtilité, le film évite adroitement l’écueil du drame psychologique et moralisateur en utilisant les codes du thriller, musique entêtante, suspense, rares et efficaces effets de surprise. Il oscille ainsi entre moments de tension intense et description sociale minutieuse, pour raconter l’histoire d’une femme qui s’éveille sur le tard aux réalités qui l’entourent, alors que son pays tout entier va durablement étouffer sous une chape de plomb.utopia
Il y a près de 50 ans, le Chili a connu des heures très sombres et le cinéma de ce pays a souvent puisé dans cette histoire pour nous offrir un certain nombre de films très forts. Le film de Manuela Martelli, son premier long métrage en tant que réalisatrice, a ceci de particulier qu’il parle de cette époque de façon feutrée tout en transmettant fidèlement aux spectateurs le sentiment d’angoisse qui gagne petit à petit son personnage principal. Carmen, ce personnage principal, est magistralement interprété par Aline Küppenheim. Jean-Jacques Corrio –
Aline Küppenheim (« Une femme fantastique« , « Mon ami Machuca« ) porte le film sur ses épaules, transmettant la fébrilité d’une apprentie clandestine, qui découvre à son tour la suspicion généralisée, et le fait qu’il lui sera désormais impossible de faire confiance à qui que ce soit. Efficace, la mise en scène de Manuela Martelli prend son temps pour installer cette ambiance délétère, concoctant de vrais moments de tension, égrainant les détails suspects, et parvenant au final à nous transmettre le sentiment de culpabilité d’un prêtre accablé par ses décisions passées, devenu celui de toute une partie de la population. Un apprentissage de la vraie générosité, pour une femme complexe et saisissant, qui va bien au-delà de ses lectures auprès de quelques aveugles.Olivier Bachelard
La réalisatrice
Manuela Martelli a participé à plus de 15 films en tant qu’actrice, parmi lesquels MON AMI MACHUCA (Andres Wood, 2014). En 2010, elle a reçu une bourse pour poursuivre un master en cinéma à l’Université de Temple, aux États-Unis.
Elle a tourné plusieurs courts métrages dont MAREA DE TIERRA, projeté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2015.
CHILI 1976 est son premier long métrage.
l’interview
Pourquoi avez-vous choisi de raconter ce moment particulier de l’histoire du Chili du point
de vue d’une femme appartenant à la classe moyenne supérieure plutôt conservatrice ?
En m’interrogeant sur ma grand-mère et le silence autour de sa mort, je me suis intéressée à la période
de cet événement : 1976. C’est l’une des années les plus sombres et cruelles de la dictature. Avant
même de parler de dépression, j’ai tenté d’étudier le contexte. Puis d’autres questionnements ont
surgi pour tenter de comprendre ce moment si particulier de l’histoire du Chili : « Comment imaginer
que ce qui se passait dans la rue n’affecterait pas l’espace domestique ? Comment pouvions-nous
faire comme si de rien n’était et vivre notre quotidien, tandis qu’à l’extérieur les dissidents étaient
jetés dans l’océan ? ».
La caméra reste très proche de Carmen tout au long du film, comme si elle l’isolait de
l’environnement extérieur.
Après plusieurs versions du scénario, j’ai compris que le film était avant tout une étude de caractère.
Il fallait que je regarde à travers les yeux de Carmen, c’est devenu le fil conducteur. C’est
pourquoi le choix du titre est si fondamental. Il fait apparaître une contradiction : quand on utilise une
date comme titre, on s’attend au récit d’évènements historiques précis comme une bataille, la conquête
d’un territoire ou la naissance d’une nation, pas à la vie quotidienne d’une femme anonyme. Nous souhaitions
être en permanence aux côté s de Carmen, à travers son regard . C’était notre manière de nous
attacher à sa subjectivité et de ne pas raconter l’histoire du Chili telle qu’on me l’avait enseignée
dans les manuels scolaires.
Les chaussures ont une symbolique particulière dans votre film.
Je n’en avais pas conscience au début , c’est venu comme une coïncidence. Ma mère m’a raconté
un jour qu’en allant voir un proche dans une chambre mortuaire, elle a été décontenancée à la vue des
chaussures vernies et prêtes à être chaussées. Cette image m’a beaucoup émue. Pour moi, les chaussures
vides incarnaient parfaitement l’absence. Plus tard, quand j’écrivais le scénario, ma sœur a eu l’idée
de la séquence des chaussures du début du film. Elle pensait que ça serait intéressant qu’un élément
perturbateur rompe le quotidien de Carmen. Cela prenait sens, pas seulement comme une anecdote
mais quelque chose qui aurait un effet sur l’ensemble du récit, comme si le monde de Carmen était
en train de s’effondrer. Comme vous le voyez, c’est un peu un film de famille !