Mani Haghighi (2022) Iran avec: Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh 1h47
À Téhéran, un homme et une femme découvrent par hasard qu’un autre couple leur ressemble trait pour trait…….
Diaboliquement remarquable jusqu’à la dernière seconde

Le cinéma iranien est vraiment d’une richesse incroyable et il sait construire des films sur des scénarios qui ne manquent pas de surprendre ! Comme ce couple qui découvre que, dans la ville où ils vivent, Téhéran, existe un autre couple dont la femme et l’homme sont, physiquement, leurs sosies parfaits. Une fois qu’il a eu connaissance de ce point de départ, une fois qu’il a réussi à l’accepter, le spectateur se demande ce que le réalisateur va en faire : une comédie, un thriller, une comédie romantique, un film fantastique ? On se contentera de dire que Mani Haghighi, le réalisateur, n’est pas homme à rester enfermé dans tel ou tel genre, qu’il aime louvoyer d’un genre à l’autre et que, de ce départ sur le thème du double double, il a réalisé un film dans lequel le fantastique croise le thriller, la comédie romantique et même le social. Tout cela avec une science consommée de l’ellipse et du hors champ. Jean-Jacques Corrio
Le réalisateur a fait des études de philosophie et c’est notamment en cela que le film est aussi passionnant, par ses multiples degrés de lecture, notamment philosophique, mais aussi par les divers genres dans lesquels il fait une incursion. Thriller, film social, film fantastique, film noir, romance, c’est en ce qu’il mêle habilement tous ces genres que ce film hybride et singulier est captivant. La lecture politique n’est aussi jamais bien loin dans le cinéma iranien, qu’il évoque frontalement la situation ou le fasse plus implicitement comme ici avec l’idée du double instillant l’altérité, le doute, le mystère, donc ce qui n’est pas permis dans un pays dans lequel le fondamentalisme gouverne, et dans lequel une seule croyance est légitimée. Haghighi, avec cette idée du double, pose brillamment la question du libre arbitre et de la liberté, dans un pays où elle est cadenassée.
Tout contribue à exacerber la sensation de mystère : la musique (remarquable bande originale d’une impressionnante puissance évocatrice de Ramin Kousha), les clairs-obscurs (photographie inspirée de Morteza Nafaji), les hors-champs, les ellipses…. La ville tentaculaire de Téhéran se prête tout particulièrement à cette histoire labyrinthique . Sandra Meziere
Le réalisateur
Acteur, réalisateur, scénariste et producteur iranien, Mani Haghighi est le petit fils du cinéaste Ebrahim Golestan. Il a notamment effectué ses études aux Etats-Unis . Il fait ses débuts en tant que réalisateur avec le drame Abadan (2004), mais c’est surtout son second essai, la comédie dramatique Men at Work (2006) qui marque d’une empreinte durable le nouveau cinéma iranien en lui injectant une bonne dose d’absurde.
Si le cinéaste continue à tourner, il est aussi repéré en tant qu’acteur pour Asgar Farhadi dans son À propos d’Elly (2009) . Toutefois, en France, on le connaît surtout en tant que réalisateur pour les films Valley of Stars (2016) qui est présenté au Festival de Berlin avant d’être distribué en salles chez nous. Même destin pour Pig (2018) qui triomphe dans plusieurs festivals,
L’intervierw de Mina Highighi
Ellipses, images manquantes, hors champs… le scénario joue souvent avec les codes du film noir pour élaborer son suspense et son trouble…
C’est un film sur le mystère. Donc tous les éléments qui le constituent doivent posséder leur propre mystère et étrangeté. Que ce soit le scénario ou la mise en scène. D’où l’importance de ces ellipses et ces sauts dans le temps. On ne sait pas ce qu’il s’est passé entre-temps et cela nourrit les interro-gations des spectateurs. Idem pour les choix de cadres et d’angles de caméra qui sont volontairement construits pour ne pas tout montrer. Pour dissimuler des éléments qui pourraient être déterminants pour la compréhension. Le hors champ est traité comme un rêve, une abstraction… On ne saisit pas toujours les motivations des personnages. On croit les comprendre, on essaie de les deviner mais il nous manque des données pour les expliciter complètement. On peut penser au film noir évidemment mais mon but était surtout de jouer avec différents genres et voir comment ils pouvaient se substituer l’un à l’autre
Quelles étaient les ambitions souhaitées pour la mise en scène ?
Le scénario étant lui-même assez dense, je ne voulais surtout pas en rajouter en stylisant le film. Je voulais une approche frontale, directe. Bien sûr j’ai cherché à donner au film un style visuel mais il ne fallait pas qu’il empiète sur le récit.
Comment définiriez-vous ce style ?
En deux mots : humide et sombre. La pluie s’écoule, les fuites d’eau dans les appartements aussi, les personnages boivent sans cesse de l’eau ou du thé… Et sombre car les opacités, les obscurité dominent dans le film. Une métaphore de ce que l’on ignore. C’est ce que j’appelle un effet à la Caravage. Tout plonger dans l’obscurité pour ne faire ressortir que les éléments qui vous intéressent. Ce sur quoi vous voulez attirer l’attention des spectateurs. Cela crée non seulement du mystère, de l’inquiétude mais aussi de la poésie.
L’actrice Taraneh Alidoosti

Taraneh Alidoosti actrice iranienne que l’on connaît notamment pour sa collaboration avec le cinéaste Ashgar Farhadi. Dans son pays, elle milite pour le droits des femmes, au sein d’un régime ultraconservateur qui la considère comme une ennemie de la nation.
En France, on a pu redécouvrir Taraneh Alidoosti dans deux longs particulièrement importants, sélectionnés à Cannes : Le Client d’Ashgar Farhadi (2015) et Leila et ses frères de Saeed Roustaee (2022). Elle avait déjà joué pour Farhadi en 2004 dans Les enfants de Belle Ville . La Fête du feu, et A propos d’Elly ce dernier la révélant auprès du public français
Souvent intimidée par les autorités iraniennes qui considèrent son attitude sulfureuse, Taraneh Alidoosti ne désarme pas face à l’autoritarisme religieux d’une nation repliée sur elle-même.L’actrice est arrêtée à Téhéran le 17 décembre 2022, après avoir affirmé son soutien aux femme iraniennes et dénoncé l’exécution du manifestant Mohsen Shekari. elle sera libérée quelques semaines après et interdite à ce jour,de tourner