Sonia Kronlund (2024) France 1h30
Un mystificateur, Ricardo, au charme fou a séduit, de par le monde, un nombre incroyable de femmes. Sur la piste de cet homme, le réalisatrice accompagnée d’une gent féminine prouve que le cinéma peut venger, avec humour, ces escroqueries sentimentales.
Une aventure de solidarité féminine à la fois drôle et sidérante

Fidèle à sa ligne interventionniste, façon Michael Moore à l’ère #MeToo, Sonia Kronlund, flanquée d’une
assistante et d’un détective privé, a non seulement envie de rencontrer ces femmes qui se sont fait arnaquer
– par Ricardo, mais aussi plus généralement par une idée de l’amour romantique qui ressemble à un
mensonge parmi d’autres – mais également de démasquer le menteur. Désamorçant sans cesse sa légende
noire, Sonia Kronlund le ramène à ce qu’il est sans doute : un pauvre type totalement paumé, pas si éloigné
peut-être de quantité de ses congénères qui se la jouent gendre idéal tout en dissimulant quelques squelettes
dans le placard. S’il ne faut pas dévoiler la teneur de la dernière séquence du film, qui achève de transformer
le drame en facétie, notons que L’Homme aux mille visages comporte, jusqu’à son générique, son lot de
surprises : le vrai est-il un moment du faux ? ou serait-ce l’inverse ? Laura Tuillier

L’Homme aux mille visages tient du thriller, une contre-enquête pour remonter et retrouver la piste de
Ricardo, avec des moments cocasses, que ce soit dans la partie brésilienne ou dans l’irruption d’un détective privé polonais aux méthodes un brin ringardes. Un film qui oscille sans cesse entre vérité et mensonge, entre
réalité et illusion. Sonia Kronlund observe la complexité des rapports humains, le désir, le mensonge, la
trahison ou l’humiliation, sans jamais juger. L’Homme aux mille visages est un récit qui emprunte des
chemins sinueux pour tenter d’approcher la vérité d’un personnage, Ricardo, un homme qui a passé sa vie à
échafauder des mensonges, un homme caméléon qui se fond dans les décors de la vie des femmes qu’il
parvient à conquérir. Huma

Le film très écrit est construit en trois parties qui tentent peu à peu de faire émerger la vérité identitaire de
l’homme. L’Homme aux mille visages est un film passionnant et brillant. La réalisatrice sait, à force
d’interviews, capter les mots véritables, la sincérité des regards, tout en accompagnant le récit de celles et
ceux qu’elle filme, de sa propre voix, comme un écho universel à toutes ces personnes, finalement
nombreuses, qui ont vécu à l’ombre du mensonge d’un proche ou d’eux-mêmes. Les documentaires affluent
de plus en plus sur les écrans français. Le nom de Sonia Kronlund vient s’ajouter aux grandes figures de ce
genre comme Claire Simon, Nicolas Philibert, Sébastien Lifshitz et tous les autres qui démontrent, film après
film, que le réel n’est pas toujours si vrai.
Laurent Cambon
La réalisatrice: SONIA KRONLUND

D’origine lorraine par sa mère et suédoise par son père, normalienne et agrégée de lettres, Sonia Kronlund a collaboré à l’écriture de nombreux scénarios, réalisé des documentaires et dirigé plusieurs collections pour la télévision. Après un bref
passage aux Cahiers du cinéma, elle est entrée à la radio en 1995 sur France Inter. Elle produit depuis 2002 l’émission quotidienne de documentaire « Les Pieds sur Terre » sur France Culture. Après Nothingwood, présenté à la Quinzaine des cinéastes du festival de Cannes en 2017, L’homme aux mille visages est son deuxième long métrage comme réalisatrice.
L’interview
À travers cette enquête autour de cet « homme aux mille visages », vous faites aussi le portrait de femmes amoureuses.
Ces femmes sont toutes différentes. Il n’y a pas un profil type, rien qui les prédisposerait non plus à se faire avoir de la sorte. Mais ce sont toutes des amoureuses blessées. Certaines sont honteuse de l’avoir été, d’autres trouvent que Ricardo est un génie. Le film raconte aussi la fragilité des femmes dans leurs rapports amoureux.
Dans une séquence, l’une, qui est psychologue pour adolescents, dit bien à quel point cet état fait perdre toute maîtrise de soi
La force de la sororité et la gaieté qu’elle engendre traversent votre film.
Le mensonge et la dissimulation permettent à Ricardo de diviser autour de lui. Il joue beaucoup là-dessus. Dans le film, j’ai voulu
faire l’inverse et favoriser les rencontres. Par exemple, les deux Brésiliennes ne s’étaient jamais croisées et nous avons organisé leur mise en relation. J’ai aimé mettre en avant cette idée de solidarité qui fédère, d’où le fait que la maquilleuse prenne soin de l’autre femme, par exemple. Ce sont des moments de gaieté. J’espère que les femmes trouveront dans le film quelque chose de joyeux, de la matière pour guérir au moins leur amour propre, pour se réparer en riant un peu. En se moquant de Ricardo, pas méchamment, mais tout de même… C’est souvent tout ce que nous, les femmes, avons à notre disposition.
Quel fut votre processus de recherche et d’écriture ?
Ce projet a duré sept ans. Tout s’est fait un peu simultanément : les recherches, l’écriture, le tournage, sachant que ce projet s’est réalisé en pleine crise du Covid. Pour rentrer en contact avec certaine femmes, il m’a fallu un an, puis j’ai passé beaucoup de temps à parler avec elles. L’une a même voulu participer au casting de l’actrice qui allait l’interpréter. Mais l’écriture d’un documentaire se fait essentiellement au montage, bien sûr. J’ai travaillé avec Sophie Brunet, qui est une immense monteuse et une vraie narratrice et avec qui j’avais déjà collaboré sur Nothingwood. Nous sommes passées par toutes les couleurs de l’arc en ciel, avons tout essayé, chamboulé, remis à plat, un vrai travail de création : le montage nous a pris un an. En parallèle, j’ai écrit un livre sur cette même histoire, qui est sorti chez Grasset en janvier 2024 avec le même titre.