Takeshi Kitano (1999) Japon 2h Avec: Takeshi Kitano, Yusuke Sekiguchi, Rakkyo Ide
Masao, un petit garçon, élevé par sa grand-mère, rencontre Kikujiro, un yakuza vieillissant . S’en suit un road movie à pied à la recherche de la mère de Masao…
C’est simple, c’est beau, c’est gai, c’est mélodieux, c’est japonais

Famille d’antihéros immatures, d’incorrigibles farceurs, famille de substitution : le film réinvente le territoire ludique d’une enfance perdue. Kikujiro, c’est le nom du père de Takeshi Kitano… Takeshi, l’enfant de la honte élevé dans la misère qui racontera plus tard dans un livre les jeux de gosses de pauvres où l’on se bidonne à rabais, l’imagination faisant la nique à l’infortune. Masao, Kikujiro / Kitano : des êtres en miroir, des clowns tristes avançant sur la corde raide de l’existence.
La séquence est comme un théâtre d’images qui s’enchaînent, une saynète drolatique qui sait maintenir un état de compression avant la chute. L’héritage du splastick est là, alliant humour et violence physique. Mais chez Kitano, toute situation saugrenue, toute suspension du temps dans un rapport funambulesque au cadre, se teinte d’une poésie mélancolique. La tendresse n’est jamais loin, dévorant les visages impassibles jusqu’à la lisière des larmes. – Gérard Grugeau

Les instants oniriques du film laissent donc surgir les angoisses qui frappent l’enfant : l’absence de figure paternelle et maternelle en mesure de le protéger contre la violence qui l’entoure. Et si le voyage reste une quête impossible de sa mère, Masao trouve aussi un père de substitution en présence du personnage joué par Kitano. Un fil unit alors le réalisateur au petit enfant qu’il met en scène : Kikujiro, en effet, est le nom du père du cinéaste, que ce dernier rejoue en apprivoisant son caractère de joueur pathologique. Kitano se dédouble alors dans ses deux protagonistes, dont l’un devenu adulte peut porter secours à l’autre, par son don de la mise en scène. En ce sens, L’Été de Kikujiro est un véritable hommage à l’art du passe-temps, dans la mesure où tromper l’ennui revient à tromper tout ce qui s’y rattache : la solitude, le désœuvrement, l’abandon. Et si l’on ne retrouve jamais ses parents, ni son enfance, l’art des adultes est bien celui qui permet, à force d’inventivité, de combler ce manque. Critikat
Le réalisateur

Cadet d’une famille pauvre de quatre enfants, Takeshi Kitano commence sa carrière en tant que liftier dans un cabaret de spectacles burlesques. C’est là qu’il remplace au pied levé un des comédiens un soir de spectacle. Beat Takeshi est né. Avec son compère Beat Kiyoshi, il forme le duo Two Beats et se lance à l’assaut de la télévision japonaise en 1980. En duo comme en solo (avec l’émission Oretachi Hyohinzoku, littéralement Nous sommes sauvages et cinglés), Beat Takeshi triomphe tout au long des années 80 avec son goût de la provocation et son irrévérence. Au cinéma, ce goût pour le burlesque et la farce trouve son illustration dans le délirant Getting any ?, qu’il réalise en 1994. Le film n’est distribué qu’en 2001 en France.
Il entame parallèlement une carrière au cinéma, en apparaissant notamment dans Furyo de Nagisa Oshima en 1983. En 1989, Takeshi Kitano se lance dans la réalisation avec le polar Violent Cop. Deux carrières symétriques et deux noms différents pour chacune de ces directions : Beat Takeshi pour l’acteur, Takeshi Kitano pour le réalisateur. Beat Takeshi apparaît dans presque tous les films de Takeshi Kitano (exceptés : Kid’s return, A scene at the sea et Dolls),
Scénariste et acteur principal de ses propres films, Takeshi Kitano le réalisateur se fait connaître par ses polars au style mélancolique et ultra violent bien particulier : Jugatsu (1990), Sonatine (1993) et Aniki, mon frere (2000). Il y compose des personnages mutiques et inquiétants, que son visage à moitié paralysé (à la suite d’un accident de moto en 1994) contribue à rendre plus énigmatique encore.
Dans cet univers violent, Kitano ménage des plages d’une infinie délicatesse, faisant ainsi se côtoyer le pathétique, la mélancolie et la cruauté la plus extrême. En témoigne Hana-Bi (1997), qui, en plus de lui offrir un Lion d’Or à Venise, l’impose définitivement au plan mondial. Il est également capable de signer des oeuvres débarrassées de toute violence, comme A Scene at the Sea (1992). Il poursuit dans la même veine avec L‘Eté de Kikujiro (1999) ou encore le très pictural Dolls inspiré du théâtre de marionnettes japonais bunraku en 2002.
En 2003 puis 2005, Zatochi puis Takeshi’s sont des méditations sur la violence, où comment la violence accumulée sur des êtres fragiles peut être transformée en spectacle de la violence suivront Achille et la tortue et Outrage en 2010 ses suivants ne sont pas sortis en France
Paroles du réalisateur
Après Hana-bi, j’ai eu le sentiment que mon cinéma commençait à être étiqueté : « Yakuza, violence, vie et mort ». Je ne parvenais plus à m’identifier complètement à mes films. J’ai donc décidé de réaliser un film différent, qui surprendrait tout le monde. Pour être totalement honnête, L’été de Kikujiro n’appartient pas à un genre qui m’est familier. Mais j’aimais l’idée de me confronter à cette histoire classique et de me l’approprier, c’est un pari qui m’intéressait. Dans cette perspective, j’ai essayé d’imaginer et d’expérimenter de nouvelles formes d’images. Je pense qu’à l’arrivée le film est un peu étrange et qu’il porte ma marque de fabrique. J’espère pouvoir trahir agréablement les attentes du public encore longtemps. »
« Avec les enfants, je préfère les diriger comme on apprivoiserait un chien errant : il ne faut rien attendre de technique, juste capter quelque chose de vrai et d’attendrissant. Pour Yusuke, je lui achetais des jouets pour qu’il accepte de m’écouter de temps en temps. »
« Pour la musique, cette fois j’ai donné à Joe Hisaishi des directives très précises. Je voulais que chaque morceau épouse exactement les émotions du film. »
« Au chef-opérateur, j’ai dit : “Fais ce que tu veux, tente des trucs que personne n’a encore filmés.” Je voulais que le film respire la liberté, l’expérimentation, le jeu. »
« Je voulais que le film soit avant tout un voyage initiatique, mais sans violence, sans cynisme. Un film où l’humour et la douceur remplacent les coups et les fusillades. »
« Après mon accident de moto, j’avais besoin de faire un film plus lumineux. Kikujiro est né d’un désir de calme, presque de guérison. C’est un film pour retrouver un peu d’innocence. »
« J’ai construit le film comme une succession d’étapes, presque comme un jeu de l’oie. Chaque rencontre est une case qui fait avancer l’enfant et cet adulte perdu. Ce sont deux solitudes qui apprennent à marcher ensemble. »