Aki Kaurismäki (2011)|Finlande, France 1h33 Avec: André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin
Marcel Marx, ex-écrivain s’est exilé au Havre il rencontre d’Idrissa, un enfant africain traqué par la police, il décide de l’aider.
Une ode à la liberté et à la solidarité aussi tendre que drôle

J’ai voulu filmer la fin d’un monde, capter une atmosphère qui va disparaître, celle des petits cafés comme on n’en fait plus, des petites épiceries, tout un monde de proximité, de rapports humains directs et chaleureux. »
Il filme donc un Havre « qui ne sera bientôt plus et qui semble déjà révolu ». Le film joue d’ailleurs sur des effets d’anachronisme en mélangeant les temps. Si le sujet du film – l’émigration – est actuel, il prend place dans un univers qui semble appartenir à d’autres époques avec les chansons de Damia qui bercent le film, la ressemblance de certains personnages avec ceux des films de Carné, le baraquement ouvrier du héros et sa décoration aussi désuète que son métier de cireur de chaussures… Dans ce conte nostalgique, tout semble délicieusement suranné. Même l’humanisme du réalisateur : « Je suis de plus en plus pessimiste, je ne crois pas que les choses vont changer dans le bon sens. Du coup, je pense que le cinéma peut être au moins une échappatoire, à défaut de pouvoirchanger les choses. » Inutile d’en rajouter, en somme. Autant essayer de ré-enchanter un peu ce monde par « un cinéma qui met en avant les valeurs de solidarité, comme un contrepoint à une réalité trop sombre ». Le Monde
Kaurismaki laisse entendre que la France qu’il connaît et habite en imagination est une France de cinéma.
C’est un pays où les inspecteurs portent imperméable, chapeau et gants noirs comme dans les films de Melville ; où les femmes s’appellent Arletty et les hommes Becker ; où l’on boit des ballons de blanc et des calvas sur le zinc comme chez Grangier ; où l’épicier pousse une charrette des quatre saisons sortie tout droit d’un scénario de Prévert ou d’un film de Feyder. Bref, c’est une
France débonnaire et pleine d’humanité dont l’art de Kaurismäki consiste à nous demander ce que nous en avons fait, et, d’une certaine manière, si nous ne lui avons pas tourné le dos. »
Pascal Binétruy, Positif,
Le réalisateur

Né en 1957 à Orimattila (Finlande), Aki Kaurismäki se forme au journalisme, puis exerce une variété de métiers, dont ceux d’ouvrier du bâtiment, de facteur et de critique de films. Autodidacte et admirateur de la Nouvelle Vague, le début de sa carrière cinématographique est marquée par sa collaboration avec son frère Mika. Ils co-réalisent plusieurs courts métrages et un documentaire,
Suivra son premier long métrage de fiction, une adaptation remarquée d’un roman de Dostoïevski : Crime et Châtiment (1983). Ses films commencent à attirer l’attention dans les festivals, notamment le loufoque et musical Leningrad Cowboys GoAmerica (1989), qui connaîtra une suite, Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse (1994). En parallèle, il développe une « trilogie du prolétariat » composée de Shadows in Paradise (1986), Ariel (1988) et La Fille aux allumettes (1990) où jouent ses deux acteurs préférés Matti Pellonpää et Kati Outinen qui lui ouvrira une large reconnaissance internationale. Il s’attachera dans toutes ses œuvres à filmer les marginaux car, dit-il, « je ne vois pas de différence entre raconter la vie d’artistes « maudits » et raconter celles d’un éboueur ou d’une ouvrière ».
De films en films, Aki Kaurismäki invente des fables du temps présent, qui soulignent la part d’absurdité et de cruauté de notre monde sans jamais se départir de leur générosité et de leur sens de la dérision. Il tourne ensuite J’ai engagé un tueur (1990) avec Jean-Pierre Léaud qu’il admire depuis toujours, puis Au loin s’en vont les nuages obtient le Prix oecuménique au Festival de Cannes 1996.
Aki Kaurismäki adapte l’opéra La Bohème avec La Vie de bohème tourné à Paris en noir et blanc puis réalise en 1999, un remake muet du classique du cinéma finlandais Juha. Au Festival de Cannes 2002, son film L’Homme sans passé reçoit le Grand Prix du Jury et le Prix d’interprétation féminine pour Kati Outinen. En 2011, il tourne en France Le Havre. Le film est sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes où il reçoit le Prix de la critique internationale (FIPRESCI), puis le Prix Louis-Delluc en 2011.
Suivra le deuxième volet de sa « trilogie des migrants », L’Autre Côté de l’espoir, récompensé de l’Ours d’argent de la meilleure réalisation à la Berlinale 2017. Le cinéaste annonce néanmoins qu’il n’achèvera pas sa trilogie et il prend sa retraite après ce film. Il en sort pour tourner Les Feuilles mortes, une tragi-comédie qui complète sa « trilogie du prolétariat ». Le film reçoit le Prix du Jury au Festival de Cannes 2023 et le Prix de la critique internationale. Source : Krysalide Diffusion
L’interview
Pensez-vous que vos films soient « politiques » ?
Vous pouvez faire des films politiques mais c’est ennuyeux. L’idée même de faire un film politique est vouée à l’échec. Les gens vont voir des films pour sortir de la réalité. Il ne veulent pas la rencontrer au cinéma. Dans mes films, il n’y a pas de messages politiques, tout du moins, j’espère qu’il n’y en a pas. Sauf peut-être celui-ci : « Tuez le Capital ! ». C’est sans espoir
Les personnages de vos films semblent perdus, ils ont l’air de se demander en permanence : « dois-je rester ou dois-je partir ? ». Serait-ce un symptôme du présent ?
Mes personnages ne sont pas perdus, c’est le reste du monde qui est perdu. Fondamentalement, ils ne savent pas où aller. C’est ça, le problème. Ils veulent aller quelque part et ils veulent rester, ils ne savent pas quoi faire. Ils ne sont pas à l’aise où qu’ils soient. Ce sont des personnages plutôt autobiographiques.
La question est compliquée parce que mes personnages ont un certain inconfort qui est de facto dans mon sang, mais je ne fait pas des autoportraits pour autant. J’essaie de décrire les gens mais mon propre inconfort se retrouve dans les personnages. Parce que j’ai toujours aimé partir mais, je ne sais pas où, sauf dans ma tombe. Il n’y a qu’au Japon où je me sens à peu près bien.