Alberto Rodriguez (2015) Espagne 1h44 Ave: Raúl Arévalo, Javier Gutiérrez, Antonio de la Torre
20 septembre 1980, en Andalousie, deux policiers que tout oppose, viennent enquêter dans un village sur la disparition de deux sœurs adolescentes
Un voyage fascinant à travers une Andalousie pleine de mystère.

On croisera les tenanciers plus que louches d’un pavillon de chasse, un photographe tellement désabusé que ses négatifs ne révèlent que des spectres, des parents attristés par l’exil de leurs enfants aux quatre coins du monde et des jeunes filles prêtes à quitter ce trou à n’importe quel prix. Même une fois les fosses ayant régurgité leurs reliques et reliquats. Les seuls à tirer leur épingle du jeu sont les ouvriers en lutte des usines d’écrevisses et un braconnier , brave type suspect à tous coups mais habitué à transgresser la loi au grand jour, et qui n’aura pas peur de se mouiller, littéralement, pour aider les enquêteurs à empêcher de nouvelles victimes. Non sans que le couvercle se rabatte sur secrets et mensonges trop hâtivement enfouis. Peut-être pour longtemps. Huma
Si La isla mínima n’a absolument pas à rougir de son influence américaine, à qui le film emprunte autant les codes du thriller que l’élégance de sa mise en scène, il ne peut y être réduit. Alberto Rodriguez a en effet choisi d’en situer l’action à une époque bien particulière de l’histoire espagnole, celle de la transition démocratique des années quatre-vingt. Et dans cette communauté rurale andalouse, autant que dans le comportement des deux flics madrilènes, se débattent les fantômes du passé franquiste encore vivace face aux désirs d’émancipation que fait souffler la démocratie nouvelle. Ainsi, les deux adolescentes disparues, que la communauté jugeait frivoles, avaient peut-être tout simplement envie d’ailleurs et de liberté. Ainsi, leur père mutique semble accepter leur disparition comme une punition du comportement de ses filles, alors que leur mère, à l’insu de son mari, fournit aux policiers des éléments d’explication. Ainsi, les deux policiers ont eux aussi un passé et des secrets qui vont malgré eux refaire surface… Utopia
C’est un paysage insolite, jusqu’ici négligé par le cinéma. Et pourtant, quel potentiel dramatique ! Le delta du Guadalquivir, avec ses milliers d’hectares de marécages couverts de rizières, est un véritable labyrinthe végétal et aquatique. On s’y cache, on s’y perd, on y trafique toutes sortes de biens plus ou moins licites. Dans le sixième film d’Alberto Rodríguez, grand triomphateur des derniers Goya (les César espagnols) et polar le plus excitant de l’été, Télérama
Le réalisateur
Réalisateur et scénariste espagnol, Alberto Rodríguez est né à Séville en 1971 et a effectué sa formation cinéma à l’Université de cette même ville. Il a terminé ses études avec le court-métrage Bancos qui a reçu une dizaine de prix dans les festivals en 1997. Ce beau succès lui a permis d’en tourner une deuxième version plus professionnelle en 2000.
La même année, il passe au long-métrage avec El factor Pilgrim (2000) qu’il coécrit également. En 2002, il rencontre un premier beau succès avec Le costard (2002) qui est aussi son premier long-métrage à sortir en France. Toutefois, la véritable révélation intervient avec son troisième film intitulé Les 7 vierges (2005) .
Après le drame After (2009) passé plutôt inaperçu, Alberto Rodríguez passe à la télévision le temps de tourner quatre épisodes de la série historique Hispania, la leyenda. Cela lui permet de patienter jusqu’à la réalisation de Groupe d’élite (2012), intéressant polar porté entre autres par le magnétique Antonio de la Torre. Ce polar ne sort en France qu’en vidéo.
Si Alberto Rodríguez est déjà bien connu des Espagnols, il faut attendre la sortie de l’excellent La isla minima (2014) pour que le public français le repère vraiment. Le film décroche dix Goya dont celui du meilleur film.
Deux ans plus tard, L’homme aux mille visages (2016) fait beaucoup moins bien bien qu’ayant décroché deux Goya dont celui de la meilleure adaptation pour Alberto Rodríguez. Celui-ci repart un temps à la télévision Il revient au grand écran avec Prison 77 (2022) qui fait l’ouverture du Festival de San Sebastian, le métrage sort directement en VOD en France. Virgile Dumez
ENTRETIEN AVEC ALBERTO RODRÍGUEZ
La ISLA MINIMA, comme votre précédent film, GRUPO 7, se déroule au début des années 80.
Pourquoi cette période vous fascine-t-elle tant ?

C’est le début de cette phase qu’on appelle chez nous “ la transición democrática ” (la transition démocratique) : les cinq années qui ont suivi la mort de Franco en 1975. Une période incontournable pour comprendre ce qu’est devenu le pays et pourquoi
nous sommes tombés dans les mêmes travers. J’avais dix ans lorsqu’à eu lieu la tentative de coup d’État militaire du 23 février
1981. J’en ai un souvenir assez flou, en fait. Je me souviens juste que le lendemain, on n’a pas eu école et qu’avec ma sœur, on a senti nos parents très nerveux. Ils ont même songé à fuir – on ne l’a su que plus tard. À la télévision, on voyait
les tanks patrouiller dans les rues de Valence, ce qui a immédiatement rappelé de terribles souvenirs aux gens de leur génération. De fait, beaucoup de leurs amis ont pris peur et sont partis immédiatement en direction de la frontière.
En laissant tout. Comme en 1936, au début de la guerre civile.
La première ébauche de votre scénario date de l’année 2000. Sur quoi était-elle construite ?
L’élément fondateur du film, ce sont deux documentaires télé absolument passionnants et assez critiques, consacrés justement à cette période sensible. La transition nous a été vendue par les médias comme une sorte d’instant idéal nous faisant croire que notre pays était passé des ténèbres au grand jour en un claquement de doigts. Plus de misère, plus d’émigration, plus de chômage. Rien. Envolés ! Les nostalgiques de la dictature qui célébraient chaque année la victoire sur les “ Rouges “ ? Évaporés eux aussi. Mais où étaient-ils passés, c’est une autre histoire. Un vrai conte de fées. Du pur marketing !
La vérité est donc tout autre ? On l’a appris depuis, cette période charnière n’était que le fruit du pacte avec les militaires qui, entre 1939 et 1975 ont tenu l’Espagne d’une main de fer.
Depuis, on a senti maintes fois combien notre équilibre restait précaire. On connaît par exemple la difficulté que rencontrent des milliers de familles pour exhumer les corps de leurs parents, ou grands-parents, fusillés et jetés dans des fosses communes sans aucune forme de procès pendant la guerre de 36 (et bien après). Une loi existe mais beaucoup d’élus de droite font de l’entrave pour ne pas l’appliquer. Autre exemple plus récent : pendant que nous écrivions le scénario, le débat faisait rage au parlement autour de la proposition du ministre de la Santé de revenir sur la loi sur l’avortement. Une des plus progressistes d’Europe, mais que cet homme prétendait soudain invalider.