Sidney Lumet (1988) États Unis 1h55 Avec: Steven Hill, Lynne Thigpen, Martha Plimpton
Danny, 17 ans, découvre que des policiers épient sa maison . Le FBI a retrouvé les traces de ses parents, anciens militants contre la guerre du Vietnam, faut il continuer à fuir?
Un passage de relais entre générations: une œuvre sublime, profonde, intelligente.

Au générique d’ouverture, avancée sur une route résumée à ses lignes blanches sur fond noir, succède une image du jeune Danny (River Phoenix) immobile dans sa posture de batteur de baseball. Il rate son coup, et la partie s’arrête ; s’il avait réussi, il aurait pu commencer à courir pour tenter de marquer un point. Ces premières images résument ce qui va devenir un motif visuel essentiel d’À bout de course (Sidney Lumet, 1988) : la tension entre mouvement et fixité. Cette dualité traduit celle qui se trouve au cœur du récit, confrontant une famille vivant dans la clandestinité, constamment en fuite et donc en mouvement, et l’éveil du désir chez leur jeune fils de s’épanouir de manière plus conforme et sédentarisée.Thomas Soptinel
Vingt ans après, qu’est devenue la génération pacifiste américaine, fille de Jack Kerouac et de Woody Guthrie ? L’idée de base d' » A bout de course » est passionnante : elle consiste à tenter de cerner ce que peut être la vie d’un couple qui n’a pas voulu, ni surtout pu rentrer dans le rang comme tant d’autres et semble condamné à la clandestinité. Presque toute l’œuvre de Sidney Lumet ( » Serpico « , » Network « ), analyste inlassable et scrupuleux de la société américaine, est d’ailleurs consacrée à décrire la lutte d’individus minoritaires contre un système de pression, qu’il soit criminel, financier, raciste, judiciaire ou policier. Lumet s’est fort intelligemment abstenu ici de montrer une menace dont on perçoit toutefois la présence latente. Sa mise en scène un peu en retrait, très discrète (trop ?), s’attache essentiellement à observer la façon dont la famille Pope s’évertue à gérer cette paranoïa obligée et éprouvante pour tous par une solidarité et un humour de tous les instants. Aidés par des acteurs formidables d’émotion qui savent rendre parfaitement la complexité de leur situation, Lumet parvient à nous toucher et nous donne un film qui rachète en partie la déception causée par ses derniers films. Fiches du cinéma
Le réalisateur

Né à Philadelphie en 1924, Sydney Lumet a grandi à New York. Son père est acteur au Yiddish Theatre, sa mère, danseuse. Il fait ses premiers pas sur scène à 11 ans à Broadway, s’engage pendant la Seconde Guerre mondiale comme ingénieur radar en Birmanie et en Inde, puis, rentré à New York, forme un groupe de théâtre en s’associant avec l’Actor’s Studio. Il joue et met en scène, donne lui-même des cours d’art dramatique, quand son pote Yul Brynner, qui bosse pour CBS, lui demande de rejoindre son équipe. C’est ainsi qu’il réalise plus de 200 émissions pour la chaîne, notamment des séries de fiction en direct. Il passe au cinéma en 1957 avec le huis-clos désormais classique, Douze Hommes en colère, les délibérations d’un jury où Henry Fonda persuade les autres membres décidés à condamner à mort un jeune Hispanique accusé de meurtre de l’acquitter en les initiant aux subtilités du bénéfice du doute qui doit toujours primer sur l’instinct de vengeance.
La fascination du cinéaste pour le thème de la justice, que l’on retrouve aussi dans le Verdict, avec Paul Newman en avocat alcoolique et dépressif qui accepte de plaider un cas d’erreur médicale, se double d’une description féroce de la corruption du milieu policier dans Serpico, (avec Nick Nolte) et, surtout, le Prince de New York, thriller paranoïaque déployé sur trois heures
Les opinions politiques de Lumet, son pessimisme d’intellectuel juif qui a connu la dèche de parents pauvres en pleine Dépression dans le quartier du Lower East Side et a très tôt été sensibilisé à un processus de déshumanisation en cours tout au long du XXe siècle transparaît dans bien d’autres films : le Prêteur sur gage (The Pownbroker), un rescapé des camps obsédé par les horreurs qu’il a traversées et qui survit dans le quartier noir de Harlem ; Point limite, description d’un début de guerre nucléaire entre les Etats-Unis et l’URSS par suite d’une négligence absurde ; la Colline des hommes perdus, sur les sévices endurés par les soldats dans les camps disciplinaires de l’armée britannique ; Network, dénonciation de l’emprise de la télévision sur les masses qu’elle contribue à formater et abêtir ; Daniel, version fictionnelle du destin du fils de Paul et Rochelle Isaacson, condamnés à la chaise électrique pour espionnage en plein maccarthysme.
Lumet n’a jamais eu envie de prendre sa retraite, quelques mois avant de mourir.» Lumet évoquait aussi un projet, Getting Out, film de taule qu’il avait écrit lui-même. Mais, cette fois, la mort en 2010 a été plus rapide que lui.
Paroles du réalisateur
« C’est le point de vue qui fait la singularité d’un film. Plus précisément, c’est le point de vue moral qui importe. Ce que raconte un film n’a rien à voir avec l’histoire, ou avec tel ou tel personnage, mais avec ce que la mise en scène apporte émotionnellement et philosophiquement. Le travail d’un cinéaste est d’illuminer un script. Si vous prenez Un après-midi de chien, par exemple, c’est l’histoire d’un homme qui attaque une banque pour trouver de l’argent pour que son amant puisse se faire opérer et changer de sexe. Ça, c’est l’histoire, mais l’essence du film, son sujet réel, ce sont les comportements incroyables dont nous sommes tous capables selon les circonstances. L’histoire illustre cela, c’est tout.»
« Il y a toujours un conflit éthique dans mes films. Une des raisons pour lesquelles j’ai fait tant de films policiers, ou de films mettant en scène des policiers, c’est justement pour montrer cela. Nous vivons dans une société démocratique qui nous répète sans cesse que nous sommes libres. Mais la première chose que vous dit la police, par son existence même, c’est que nous ne sommes pas libres. Donc le conflit entre le système judiciaire et les valeurs politiques est inhérent au fonctionnement d’une démocratie. Cela signifie que si le système judiciaire n’est pas juste, s’il est corrompu, il n’y a pas de démocratie. La corruption, dans la justice ou dans la police, est antidémocratique. C’est pourquoi les histoires de policiers sont intéressantes, parce qu’elles questionnent la démocratie elle-même.