Safinez Bousbia (2011) Algérie, France 1h33 Avec Mamad Haïder Benchaouch, Rachid Berkani, Ahmed Bernaoui, Robert Castel
Des travellings superbes sur Alger et de beaux moments musicaux.
La bonne humeur – el gusto – caractérise la musique populaire Chaabi inventée, au milieu des années 1920 au cœur de la Casbah d’Alger par le grand musicien de l’époque, El Anka. Elle rythme l’enfance de ses jeunes élèves du Conservatoire, arabes ou juifs. L’amitié et leur amour commun pour cette musique qui « fait oublier la misère, la faim, la soif » les rassemblent pendant des années au sein du même orchestre jusqu’à la guerre et ses bouleversements.
El Gusto, Buena Vista Social Club algérien, raconte avec émotion et… bonne humeur comment la musique a réuni ceux que l’Histoire a séparés il y a 50 ans.
Des musiciens grisonnants aux doigts toujours agiles, une culture populaire renaissante… il n’en fallait pas plus pour étiqueter El Gusto, le grand orchestre de chaâbi célébré par ce documentaire, de Buena Vista Social Club algérien. De fait, comme les Cubains, ces papys ont connu leur heure de gloire dans les années 1940, au côté du maître El Anka, la première figure du genre. Comme eux, ils ont été séparés à la fin des années 1950, avec l’indépendance. Seulement, là où Wim Wenders faisait résonner le son de La Havane dans chaque image, Safinez Bousbia, jeune réalisatrice algérienne, retrace davantage l’aventure humaine. On la suit dans l’échoppe minuscule de la casbah où elle rencontre, en 2003, le premier de ces vétérans à la nostalgie contagieuse, puis, plus tard, à Marseille, où ont lieu les émouvantes retrouvailles avec les amis juifs d’antan. S’invitent ainsi le battant Bernaoui, au corps brisé par la torture, le débonnaire Tahmi, l’intarissable Robert Castel… A travers eux – et aussi des plans magnifiques d’Alger -, elle rend un bel hommage au chaâbi, blues arabo-andalou aux accents cosmopolites des quartiers populaires. Et raconte, au passage, la petite histoire d’une Algérie fraternelle et oecuménique...Anne Berthod
L’interview de la réalisatrice: Safinez Bousbia
Parlez-nous un peu de vos origines et de votre enfance ?
Je suis née à Alger et l’ai quittée à l’âge de huit mois. Mes parents sont tous deux Algériens mais ne vivent plus là-bas depuis longtemps. J’ai vécu un peu partout en Europe, notamment dans le cadre de mes études. J’ai fait un master en architecture du cinéma : on créait des plateaux pour la télé, le cinéma, le théâtre et j’ai choisi de continuer mon cursus en Irlande pour. Ensuite, j’ai été happée par l’univers d’El Gusto, en découvrant Alger…
Comment justement a démarré l’aventure El Gusto ?
J’habitais en Irlande et lors d’une soirée avec une copine, on a décidé de partir à Alger et de jouer aux touristes. On se promenait dans la Casbah et là, on découvre de très jolis miroirs peints à la main. On entre pour acheter. Et le miroitier, Monsieur Ferkioui, commence à me raconter l’histoire d’un groupe de musiciens. Il m’apprend qu’il a appris la musique au conservatoire municipal d’Alger, dans une classe qui était dirigée par El Anka, le fondateur de la musique populaire chaâbi.
Monsieur Ferkioui me raconte qu’il a perdu de vue tous ses amis avec qui il avait appris la musique. Donc je décide de partir à la recherche de ces musiciens, au départ juste pour mettre en contact le miroitier avec ses amis, et non pour faire un film. Mais c’est en rencontrant ces musiciens que je me suis dit qu’il y avait une très belle histoire à raconter et à porter à l’écran.
Concrètement, ça s’est passé comment ?
J’ai commencé à chercher des producteurs et des réalisateurs. Malheureusement, tout le monde trouvait l’idée magnifique mais trop chère à réaliser. Ça n’était pas assez commercial, trop compliqué. C’est comme ça que je me suis retrouvée à le faire moi-même !
J’ai donc vendu ma maison, hypothéqué certains biens, et j’ai mis une première somme d’argent pour avancer le projet. Et à partir de là, j’ai commencé à avoir des images et les gens se sont mis à croire dans le projet et à suivre l’aventure.
Pourquoi le chaâbi a-t-il été autant oublié ?
Au départ, sous la colonisation française, les riches familles « indigènes » privilégiaient l’andalous. Le chaâbi, c’était la musique populaire, la musique des pauvres quartiers de la Casbah. Ensuite avec l’indépendance, cet état de fait est demeuré. Encore actuellement, peu d’associations culturelles algériennes promeuvent cette musique, contrairement à l’andalous, et c’est dommage. Mais paradoxalement, le fait que cette musique n’ait pas été récupérée l’a préservée d’un certain académisme musical. Le chaâbi est une musique qui a besoin de l’improvisation, de la liberté pour s’épanouir.
Peut-on dire que l’histoire du chaâbi se confond parfaitement avec celle de l’Algérie ?
Oui bien sûr. Le chaâbi est avant tout une musique des quartiers populaires d’Alger et surtout de la Casbah C’est la musique des échoppes, des coiffeurs, des dockers, du petit peuple algérois. Mais avec ce film, il s’agit d’entendre une autre histoire de l’Algérie, une histoire qui ne sera pas officielle. Par exemple, j’ai découvert que le chaâbi a eu son rôle dans la guerre avec ses chansons codées qui appelaient à l’indépendance de l’Algérie. L’Algérie s’est construite sur des influences multiples ; elle est plurielle, le chaâbi est à son image.