Iciar Bollain (2019) Cuba, Espagne 1h44 Avec Carlos Acosta, Santiago Alfonso, Kevyin Martínez
Un gamin cubain féru de foot et de hip-hop devient une étoile internationale du ballet… Le danseur Carlos Acosta joue sa propre histoire dans ce biopic sensible
La danse fait avancer l’action à la manière d’une comédie musicale et apporter son authenticité au film, qui ne sombre jamais dans le pathos tout en racontant avec sensibilité la difficulté de vivre à Cuba, mais également loin de chez soi
On est emporté par la puissance qui émane des séquences de danse, chorégraphiées par Maria Rovira et exécutées par des danseurs professionnels de premier plan. Yuli explore avec sensibilité la contradiction avec laquelle vit Acosta depuis l’enfance. La famille, surtout la figure du père (Santiago Alfonso), occupe une place primordiale pour le danseur, tiraillé entre son art et ses origines. Biopic lumineux et optimiste, porté par une passion déchirante, Yuli retrace somptueusement le parcours hors du commun de cet enfant au talent grandiose, des rues cubaines aux plus grandes compagnies de ballet du monde.
Prix du scénario au Festival de San Sebastian 2018, nominé par 3 fois aux Goyas, ce biopic espagnol signé Icíar Bollaín (« L’Olivier« , « Même la pluie« ) est un véritable exercice de finesse. Histoire du danseur étoile cubain Carlos Acosta, le film se construit dans une alternance intelligente et claire, entre la vie du jeune homme (son enfance, puis son adolescence…) et des flashs-forward sur la préparation d’un spectacle auto-biographique, qui implique le véritable danseur dans son propre rôle. La réalisatrice apporte le plus grand soin aux glissements d’une époque à l’autre, par souvenirs interposés, évocations dans les gestes des danseurs pour un retour en arrière, ou simples transitions vers un élément de répétition pour aller de l’avant.
Petit à petit se dégage une réelle émotion, alors que sont évoqués en toile de fond, les différentes situations politiques et économiques du pays (rapports contraignants avec l’URSS, embargo US, fuites bateaux vers les États-Unis, fin de l’aide russe et la famine qui l’accompagne…), la question de la liberté de choix et de mouvement étant au cœur de ce destin hors du commun. Contraint à l’exil, doutant de son propre talent, effrayé par la rupture potentielle avec ses proches et son pays, le personnage exprime autant sa solitude au travers de souvenirs parfois magnifiés ou rêvés, et donc réparateurs, qu’avec les numéros de danse qu’il dirige. Olivier Bachelard
Icíar Bollaín

a débuté sa carrière dans le cinéma, en tant qu’actrice, dans le film de Victor Erice, El Sur (1983) à l’âge de 16 ans. Mais c’est sans aucun doute à partir de sa rencontre avec Ken Loach, lors de sa collaboration au film Land and Freedom / Tierra y Libertad, en tant qu’actrice et assistante du réalisateur qu’elle va donner une place prépondérante à la réalisation. Ken Loach et elle partagent la même volonté de donner la parole à ceux que l’on veut faire taire et de lutter contre l’injustice sociale à travers leur œuvre, de film en film. Elle est la compagne du scénariste de Ken Loach, Paul Laverty qui obtenu pour Yuli le prix du scénario à San Sebastián. Ensemble, on leur doit Ne dis rien en 2003, sur une femme battue, Même la pluie en 2010, sur le tournage d’un film en Bolivie et L’olivier en 2016.
Paroles de Carlos Acosta
J’ai suivi des cours de danse classique dès l’âge de 9 ans. Dans mon quartier, mes copains me traitaient de pédé. Dans ce milieu, aussi pauvre que machiste, il aurait été normal que mon père voie la danse comme un truc d’homosexuels. Au contraire, c’est lui qui m’a poussé à devenir danseur.
« Quand j’ai été expulsé du cours de danse pour indiscipline, j’ai été envoyé dans un internat de province. Là, je me suis senti abandonné de tous. J’étais le seul gamin que ses parents ne venaient jamais voir. La danse est devenue mon refuge, mon salut.
« Le don, il vous est donné à la naissance, mais la force pour le développer, c’est la douleur qui vous la donne. La douleur de l’âme, et la douleur physique. Dans la danse, la douleur physique sert à façonner le corps, afin qu’il exprime ce qu’on veut. Je ne souhaite à personne d’endurer cette souffrance, ce sentiment de solitude. Mais c’est cette souffrance qui a fait naître en moi la colère et la passion.
« L’étoile de ma vie, c’est mon père. Sans lui, je serais devenu un voyou. La plupart de mes amis de Los Pinos où je suis né ont quitté Cuba sur un radeau, les autres sont en prison. Voilà à quoi j’étais destiné. Revivre mon passé, le jouer et le danser pour ce film, a été une expérience intense, douloureuse et apaisante. »