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(2019) Teona Strugar Mitevska , Macédoine 1h40 Avec Zorica Nusheva, Labina Mitevska,
Un rituel local veut qu’à la fonte des neiges, le pope de la ville jette dans la rivière une croix de bois que les jeunes gens se disputent dans l’eau glacée. Celui qui attrape le trophée est promu au rang de célébrité locale et se voit promettre amour et prospérité par les autorités religieuses. Petrunya, qui passe par là, se jette dans les flots et emporte la croix. Ce geste irréfléchi fait vaciller toute la société qui l’environne.
Petrunya dégage un charme têtu, pas forcément évident de prime abord mais qui va s’imposer progressivement à nous, tout comme son intelligence et sa finesse d’esprit. Mais tout cela a dû mal à transparaître dans une société patriarcale qui semble constamment lui susurrer son inutilité de fille improductive. Jusque-là, elle n’avait que ses yeux pour pleurer, les sucreries pour se consoler, coincée entre un avenir tout bouché et une mère étouffante toujours prête à la castrer. On la croyait timorée, benête, coincée ? Petrunya va s’avérer être une pure géante ! Et ce film vivifiant et drôle va s’imposer comme un excellent antidote aux masculinistes de tous poils !utopia
Teona Strugar Mitevska s’est inspirée d’une histoire vraie ayant eu lieu en 2014, qui a provoqué un scandale et l’exil à Londres de la lauréate. La cinéaste explique dans le dossier de presse : «Cette année, une autre femme a attrapé la croix à Zemun, en Serbie. On lui a fait une ovation. Le monde change vite, cela me remplit d’espoir.»
L’interview de la réalisatrice
PENSEZ-VOUS AVOIR FAIT UN FILM FÉMINISTE ?
Toutes les sociétés patriarcales sont conçues pour conforter la domination masculine, le statut et l’espace social des femmes y sont déterminés par les hommes, donc chaque fois qu’un film traite de près ou de loin du soi-disant « deuxième sexe », il est nécessairement féministe. Tout film dont le personnage principal est une femme, ou qui traite son sujet sans se conformer aux rôles traditionnels est un film féministe.
J’ai du mal à imaginer être une femme et ne pas être féministe. Le féminisme n’est pas une maladie, il ne faut pas en avoir peur. L’égalité, la justice et l’équité sont au cœur même de son idéologie
FAUT-IL VOIR CE FILM COMME UN COMBAT ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ ?
Imaginons la tradition comme un sac de sel (élément essentiel à la vie) qu’il faudrait
transporter à travers les flots impétueux d’une rivière large et profonde, représentant la
modernité. Que se passerait-il alors ? Le sel se dissoudrait, la personne se noierait, et après ?
Si cette histoire se passait dans un bureau et qu’il était question de briser le plafond de verre, ce serait plus évident, mais en plaçant l’action dans un environnement plus traditionnel, en l’occurrence une petite ville de Macédoine, les choses se compliquent. Petrunya, en tant que symbole de la modernité, doit affronter non pas un mais deux ordres établis : l’Église et l’État.
Elle est impuissante face à de telles institutions, mais avec un peu de chance, son éducation va la sauver.
J’ignore comment trouver le bon équilibre entre tradition et modernité, ou quelle sera la place de la tradition à l’avenir. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt de savoir comment amender la tradition, pour qu’elle puisse par exemple inclure le
deuxième sexe, dans un esprit d’égalité.
COMMENT AVEZ-VOUS TROUVÉ L’ACTRICE QUI INTERPRÈTE LE RÔLE PRINCIPAL ?
C’est son premier rôle dans un long-métrage.
Zorica fait partie d’une troupe de théâtre comique de Skopje. Ce qui est merveilleux avec
les acteurs de comédie, c’est qu’ils ont un sens parfait du rythme et du timing. En général, je passe beaucoup de temps à choisir mes acteurs et à répéter avec eux. Cela peut prendre des mois. Les répétitions finissent par faire partie du processus de casting, c’est un travail particulièrement utile et gratifiant. Je cherchais quelqu’un qui dégage une force tranquille, et dès que j’ai vu Zorica, j’ai su qu’elle serait ma Petrunya.