REPORTÉ « L’Oranais » dimanche 15 Nov 10h en présence du réalisateur

Lyes Salem (2013) Algérie Avec Lyes Salem, Khaled Benaissa, Djemel Barek (2 h 08)

Durant les premières années euphoriques qui suivent l’indépendance, deux amis, Djaffar et Hamid, sont promis à un bel avenir dans une Algérie libre jusqu’au jour où la trahison les sépare.

Nous ne voyons que des fragments, et des personnages qui en ont vu plus que nous (même s’il parlent peu du contenu des ellipses), et pourtant les conséquences à chaque étape sont inévitables. Ainsi L’Oranais ne s’avance-t-il pas, comme il a pu avoir la tentation de la faire (d’autres l’ont eue avant lui), comme une fresque historique à intention exhaustive sur un homme et un pays, mais plutôt comme une évocation de la mémoire de ceux-ci – une mémoire forcément meurtrie, subjective, lacunaire sans doute par choix, et dont il nous fait appréhender les troubles, la nécessité d’être vigilant sur l’écriture de l’histoire. C’est bien vu, et cela suffit à rendre ce film touchant. Critikat

Ce film est admirable, peut-être même salutaire. D’abord, parce qu’il met en scène l’esprit qui traversait l’Algérie dans les années ayant suivi les accords d’Evian, les rêves de progrès sociaux, économiques, voire spatiaux. Lyes Salem filme – via un très bon casting, dont les remarquables Khaled Benaissa et Sabrina Ouazani – cette génération qui portait des robes courtes, fumait, buvait, dansait (au son de Ya Mustafa), imaginait une autre Algérie, (ré)inventait l’identité d’une nation. Et c’est en montrant la beauté et l’insouciance de cette période, dont la liberté a été violée par une poignée de militaires, que Salem propose une voix nouvelle dans le cinéma algérien, industrie née avec l’indépendance et virtuellement absente des écrans français. Salem pose là un discours politique et contemporain sur un pays qui, comme d’autres, n’en finit pas de se dépêtrer de son histoire. Clément Ghys

Mais le coeur de ce film explore, donc, entre soleil et ombres, la liesse de la victoire, le destin des combattants et des intellectuels, qui voient leur idéal révolutionnaire de plus en plus rongé par la corruption. Le soutien intéressé des pays « amis » et ces liens fraternels, apparemment indéfectibles, qui se délitent quand il faut à nouveau choisir son camp. Le réalisateur brasse tous ces thèmes avec un sens du détail impressionnant, filmant ses figures masculines avec pudeur et grandeur, comme Ettore Scola dans Nous nous sommes tant aimés.

Incarnant lui-même Djaffar, Lyes Salem prête à ce héros malgré lui une poésie proche du cinéma muet, un peu comme si Buster Keaton, soudain, devenait oranais. Face à lui, Khaled Benaïssa (vu récemment dans le beau Repenti, de Merzak Allouache) impose une présence diablement charismatique en ancien idéaliste devenu ministre « réaliste ». — Guillemette Odicino

L’interview

Vous êtes réalisateur, acteur et possédez une double culture.


J’appartiens à deux cultures, je les connais et les aime profondément. Si je réalise c’est parce que je suis politiquement en colère et inquiet. Si comme acteur ma démarche est artistique, comme réalisateur elle est totalement politique.Je crois devoir témoigner de cette dualité que je porte en moi.
Enfant, un jour à Alger où je vivais à ce moment-là, j’ai demandé à mes parents quel camp il faudrait que je choisisse si un jour l’Algérie et la France se faisaient à nouveau la guerre. Il y a eu un léger temps de surprise de leur part. Puis ma mère, française, a tourné la tête vers mon père, algérien, pour sans doute qu’ils accordent leur réponse, mais mon père qui devait être assez contrarié a continué à regarder droit devant lui. Ils ont fini par me répondre que la guerre entre les deux pays était finie et qu’elle ne reprendrait plus jamais. Que s’ils s’aimaient c’est qu’il ne pouvait plus y avoir de guerre entre les deux pays. Je n’avais donc aucune inquiétude à avoir.

Avec l’Oranais, vous êtes notamment accusé d’avoir donné une mauvaise image du moudjahid ?

Je ne donne pas d’image de moudjahid. Dans l’Oranais, je raconte l’histoire d’un groupe de personnes, des êtres humains avec plein de contradictions. Si cela heurte la sensibilité de certains qui préfèrent garder une image réconfortante ou rassurante d’un certain type de personnes, j’en suis désolé pour eux. Mais ce n’est pas ma façon de voir les choses. Ils ont la télévision algérienne et la série de Hadj Lakhdar pour se conforter. Qu’ils me laissent présenter les personnages tels que j’ai envie de le faire. Et c’est une fiction.

Que contestent-ils dans le film ?

On conteste le film sur des détails un peu idiots. La consommation d’alcool par exemple. Concernant ce sujet, plusieurs journalistes leur ont rappelé qu’après l’indépendance, ce sont les anciens combattants, les moudjahidines,  qui ont eu les licences d’alcools. Je pense qu’on est dans une hypocrisie absolue. Ceux qui contestent sont dans leur rôle. Je pense que le reste de la société algérienne, la majorité, est consciente que la vie n’est pas en noir et blanc et qu’elle est plus complexe.

Liez-vous cette polémique aux propos tenus par Cheikh Chemsdine concernant le film ?

Je pense qu’il est dans son rôle autant que moi je suis dans le mien. Et il est évident que si c’est lié à ce qu’il a pu dire, c’est au reste de la société civile qui n’abonde pas dans ce sens, de refuser cet état de fait. Car il ne s’agit pas seulement de mon film. Il s’agit des autres films à venir et de la liberté d’expression artistique. En fait, il s’agit de refuser qu’un type, sur une chaîne de télévision, puisse décider de ce que l’art peut proposer au public algérien.