Edward Berger (2015) Allemagne 1h43 avec: Ivo Pietzcker, Georg Arms, Luise Heyer
Jack, dix ans à peine, est déjà seul responsable de sa famille : son petit frère Manuel, six ans, et leur mère célibataire aimante, mais totalement immature, Sanna, Mais Jack n’est pas infaillible et un événement va venir bouleverser le quotidien de ce trio. ….
Il y a beaucoup de Rosetta chez ce garçon pressé : le même désir de faire au mieux, la même obstination et le même courage. Et beaucoup de Luc et Jean-Pierre Dardenne dans la mise en scène d’Edward Berger : il filme, souvent de dos, et en plans-séquences, ce gamin qui fonce, obsédé par la mission qu’il s’est donnée : être au service de ce petit frère et de cette mère également inconscients. Pas question de s’arrêter, de dévier. Il charge, il déferle, il trace…Pierre Murat
« Jack » d’Edward Berger ne se contente pas de renouer avec la grande tradition du cinéma dans la représentation des enfants ‘orphelins’, des « Contrebandiers de Moonfleet » de Fritz Lang aux « Quatre Cents coups » de François Truffaut en passant par « L’Enfance nue » de Maurice Pialat. En filmant à sa hauteur, un petit héros des temps modernes, sans père, affublé d’une mère-enfant, l’auteur capte un moment de l’histoire de nos sociétés, happées par le présent, en panne de transmission. Quels sont les fondements d’une communauté humaine dans laquelle les enfants ne constituent plus le bien le plus précieux ? Comment des êtres en devenir, abandonnés ainsi à eux-mêmes, parviennent-ils à se construire comme sujets ? Edward Berger, le réalisateur, ne répond pas à ces questions abyssales mais Jack les pose en nous regardant dans les yeux. Osons soutenir ce regard. cafépédagogique

INTERVIEW D’EDWARD BERGER
D’où vous est venue l’idée de “Jack”?
Il y a quelques années, je jouais au foot avec mon fils Friedrich un dimanche après-midi, quand un petit garçon longe en courant le terrain avec un gros cartable. “Salut Jack!” mon fils l’interpelle et il lui répond avant de continuer son chemin. Visiblement, ils se connaissaient. Étonné de voir un gamin porter un sac à dos d’écolier le dimanche, je pose la question à mon fils qui m’explique: “le vendredi, il dort chez sa mère et le weekend, il retourne dans le foyer”. Le point de départ de mon film c’est cette vision fugace. Nous avons toujours l’image assez triste d’un enfant qui ne vivrait pas avec sa famille. Cette rencontre, même brève, avec un garçon qui semblait conserver une détermination et un optimisme m’a ouvert les yeux. C’était impressionnant, il avait confiance en le futur, il croyait à la vie et au destin avec une force indéniable. Je voulais que les spectateurs qui voient le film s’inspirent de cette énergie, qu’ils sortent du cinéma avec le sentiment que le gamin qu’ils ont vu était génial.
Comment s’est construit le scénario?
J’ai écrit le script avec Nele Mueller-Stöfen. Nous avons commencé par définir grossièrement les contours de l’histoire avant de nous attaquer aux scènes individuelles et aux dialogues. Notre travail en amont consistait à articuler ces scènes dans une structure cohérente. Pour les écrire, nous nous isolions dans une pièce, à l’abri du regard de l’autre, qui intervenait ensuite sur le travail effectué. Nous devions nous rappeler quelle était l’origine de l’histoire: un récit simple à propos de l’amour inconditionnel que peut porter un garçon à sa mère.
Était-il important de tourner à Berlin?
C’était important de tourner dans l’anonymat d’une grande ville où les gens, notamment les plus jeunes, peuvent se perdre. La métropole, c’est une jungle où tout le monde est occupé, rendant la présence d’enfants quasiment invisible. Mais l’action aurait pu se dérouler à Varsovie, à Paris ou à New York. Comme l’idée a germé sur le pas de ma porte, nous avons écrit le film avec plusieurs lieux en tête. Il fallait trouver des édifices épurés qui nous permettent de conserver une forme de réalisme: quand Jack marche d’un point A à un point B, c’est vraiment cette distance qu’il parcourt. Nous ne voulions pas faire des sauts incohérents à travers Berlin. Votre film est-il un drame social? Non, car il aurait condamné la mère. Nous voulions une histoire qui s’adresse au plus grand nombre sans stigmatiser certains personnages. Cette mère aime ses enfants, mais elle est trop jeune pour en avoir la responsabilité. Ce n’est pas une alcoolique ou une actrice pornographique. C’est une jeune femme qui habite à Wansse, travaille chez Cookie et 02 World. Elle est rock n’roll. C’est pour ça aussi que nous ne voulions pas situer le récit en périphérie de la ville, dans de gigantesques lotissements. Nous voulions être au cœur de la société, pas à la marge.
Pourquoi avoir choisi cet aspect visuel si particulier?
Avec le directeur de la photographie, Jens Harant, nous avons discuté du projet bien avant le tournage. Nous avions déjà bien réfléchi à la manière dont nous allions retranscrire le récit en images. Le concept était le suivant: raconter cette histoire du point de vue des observateurs, sans montage ni manipulation. Nous voulions rester le plus près possible du garçon et filmer parfois à sa hauteur. Pas de personnages ou d’intrigues secondaires, pas de travelling qui nous en auraient détourné. Nous avons vérifié que chaque scène puisse exprimer son potentiel sans ces artifices, et avons réécrit le script jusqu’à ce qu’il soit compatible avec notre concept du film. Nous voulions que les spectateurs aient une expérience émotionnelle forte avec “Jack”
Edward Berger
Après des études de cinéma à l’Université de New York jusqu’en 1994. Edward Berger travaille sur des tournages d’Ang Lee ou de Todd Haynes. Installé à Berlin depuis 1997, il réalise son premier film Gomez, adaptation d’un livre qu’il a lui-même écrit. Edward Berger a aussi réalisé plusieurs épisodes de séries . En 2012, son téléfilm A Good Summer est récompensé. Il travaille depuis plusieurs années avec Nele Mueller-Stöfen comme co scénariste