Emilio Belmonte (2022) Doc 1h38
À 62 ans, le maître flûtiste Jorge Pardo, père de la fusion flamenco-jazz aux côtés notamment du guitariste Paco de Lucía, relève le défi de réunir les plus grands musiciens d’aujourd’hui pour un concert unique. Transe est une aventure musicale de l’Andalousie à New York en passant par l’Inde.
Un beau portrait de musicien libre au cours d’un voyage dans le mystère de la musique flamenca

Un portrait, filmé avec un certain tact. Il y a les moments sur scène, les nombreux instants musicaux captés dans leur juste durée, les voyages qui le transportent d’Espagne au Maroc, en passant par l’Inde, la France, les États-Unis, la démonstration qu’il n’existe aucune pureté intrinsèque à un genre musical, flamenco compris. Mais les derniers disques de Pardo, fusionnant l’électro avec le flamenco, ne sont pas des succès. Les salles ont du mal à se remplir. Son agent ne sait que faire. Ne vaudrait-il pas mieux revenir à un flamenco plus traditionnel et identifiable, tel qu’il est encore défendu dans la communauté gitane ? Mais pour le musicien, tenir compte du goût d’un public imaginaire affadirait sa musique en lui retranchant une part de son essence, sa liberté créative. Cette honnêteté de l’approche rend le film touchant, elle lui permet de dépasser le seul cadre de cette musique pour appréhender une quête de liberté dans toutes ses dimensions : artistique, poétique et pragmatique. En effet, difficile d’être un père et un compagnon quand les tournées, les enregistrements font qu’il n’est le plus souvent que de passage au domicile, comme le lui rappelle son fils. Ces éléments sont judicieusement intégrés au film, qui laisse la part belle à la musique. Fiches du cinéma
La structure est celle d’un film de fiction. Il n’y a pas d’interviews face caméra. Il enchaîne les rencontres, les dialogues -parfois très intimes- et la musique. Arrivera t’il à organiser ce concert malgré les problèmes de budget et disponibilités ? Nous apprenons en même temps à connaître Jorge Pardo. La façon dans laquelle il a commencé à ‘chanter’ avec sa flûte (l’esprit de Paco de Lucia toujours autour du métrage), sa quête de liberté artistique et personnelle et le prix à payer pour l’obtenir. Mention à la photographie et au montage son du film. Peu importe l’endroit où la musique est jouée, – la rue, un studio d’enregistrement, un festival de jazz, un bar, le son est juste parfait.
Une réussite donc pour ce deuxième volet sur sa trilogie flamenco après le premier consacré à la danseuse Rocio Molina et avant un troisième dédié au chant.
Le réalisateur

Emilio Belmonte est né en Andalousie en 1974. Après des études d’ingénieur et de lettres, il s’installe en France en 1999 où il commence à réaliser des documentaires de manière autodidacte. Depuis 2016, il tourne une trilogie de longs métrages documentaires sur le flamenco au XXIe siècle intitulée La Piedra y el Centro (La Pierre et le Centre). Dans ce projet Belmonte vise à marquer le nouvel âge d’or que connaît actuellement le flamenco. Il s’interroge également sur sa propre identité à travers cet art avec lequel il vit depuis son enfance en Andalousie et dont il est toujours très proche.
Le premier film, Impulso réalisé en 2018 est un portrait de la danseuse flamenco Rocio Molina. Dans ce film elle met en place ses fameuses improvisations (Impulsos) avec ses musiciens (flamenco mais guitare électrique !), nous entraîne dans ses pulsations et nous offre une prouesse physique et artistique. Transe est le deuxième film de cette trilogie, mettant en scène le mythique maître de la flûte Jorge Pardo. Le troisième est en post production dédié à un chanteur de flamenco
L’interview d’Emilio Belmonte

Revenons à « Transe ». Dans ce film, nous découvrons différentes facettes de la personnalité de Jorge Pardo ainsi que des moments de sa vie plus intime. Nous pouvons apprécier aussi son talent. Le fait de ne pas évoquer sa biographie, est-ce un choix délibéré?
Absolument! je ne fais pas de biographie. Je ne sais pas faire cela et en plus cela ne m’intéresse pas d’en faire. Je respecte énormément le portrait d’artiste, mais cela n’est pas dans mes cordes. Moi, je veux faire un film qui se déroule maintenant avec quelqu’un qui est vivant et que je sens vivant à l’écran.
-Dans ce film, il y a la présence de très grands artistes aux cotés de Jorge Pardo. Citons par exemple Farruquito, le grand jazzman Chick Corea, Ricardo Moreno, Tomas de Perrate, Diego Carrasco et son fils, il y a Diego del Morao, Ana Morales. Il y a toute une panoplie d’immenses artistes et je trouve cela très intéressant parce que ce sont tous des artistes qui méritent d’entrer dans ce film et cela donne un beau panorama du Flamenco actuel, n’est-ce pas?
-Cela correspond tout simplement à la trajectoire de Jorge Pardo. Ce musicien est capable de dialoguer avec un Jazzman comme Mark Giuliana qui a trente ans de moins que lui et qui a obtenu un Grammy de Jazz, et avec un gitan de 70 ans à Jerez, cela correspond à ce musicien qui est comme une comète qui traverse des galaxies musicales différentes et qui les met en contact. C’est cela la magie de Jorge Pardo. C’est cela qu’il met en avant dans son histoire. La trilogie, en soi, a un sens patrimonial profond. Nous voulions de bons artistes et nous on avons eu le meilleur.