« Caramel » lundi 8 février 20h30

(2007) Liban 1h35 De Nadine Labaki Avec Nadine Labaki, Yasmine Al Massri, Sihame Haddad

A Beyrouth, cinq femmes se croisent régulièrement dans un institut de beauté, microcosme coloré où plusieurs générations se rencontrent, se parlent et se confient.

La réalisatrice a su puiser dans une réalité qu’elle connaît bien le suc dont elle fait son miel. Son caramel chauffé plutôt, car c’est par son emploi qu’on épile dans le salon, doucement avec les copines, en tirant d’un coup sec avec les peaux de vache, sourire de convenance mais rictus en coin. C’est d’ailleurs cette matière qui fournit sa dominante chromatique à ce film (photo d’Yves Sehnaoui) qui privilégie les teintes doucereuses brunes. D’où un côté Jacques Demy dans le rendu de ce monde enchanté qui vit entre raison et folie. Voir, belle idée, les avis de contravention que le flic dépose imperturbablement sur le pare-brise de la belle fâchée avec les parcmètres, papillons qu’il est prêt à faire sauter dès que son sourire enjôleur s’en mêle et qui sinon sont aussitôt piqués par la dingue qui en fait collection. On sort du film ému par ces femmes, toutes non professionnelles, que la réalisatrice a mis longtemps à réunir. L’effort en valait la peine. Jean Roy huma

Cet entrecroisement de destins est un procédé convenu, et cette convention menace parfois la vivacité de Caramel. Le scénario dose avec un peu trop d’habileté séquences comiques et tragiques, moments de désespoir solitaire et explosions de joie conviviales. Ces péchés restent véniels au regard de l’élégance sensuelle de la mise en scène. Servi par une belle lumière (Yves Sehnaoui), qui célèbre aussi bien la beauté des actrices qu’elle prend en compte la misère qui menace partout la splendeur beyroutine, bercé par une musique élégamment sentimentale (de Khaled Mouzanar), Caramel trouve un rythme singulier qui mêle intimement la vivacité à la pesanteur du temps qui passe. Le Monde

L’Interview de la réalisatrice

Ces personnages sont-ils représentatifs des femmes libanaises aujourd’hui ?

Assez, oui. Mais je n’ai pas voulu faire un travail sociologique et je n’ai pas résumé, loin de là, la société libanaise. J’ai fait ce film parce que je me pose beaucoup de questions sur les femmes libanaises. Obsédées par leur apparence, elles cherchent leur identité entre l’image de la femme occidentale et celle de la femme orientale… La libanaise a toujours l’impression de voler ses instants de bonheur. Elle doit sans cesse ruser pour vivre comme elle veut. Et quand elle y arrive, elle se sent coupable. On se leurre en pensant qu‘elle est libre. Même moi, qui suis émancipée et qui fait le métier que je veux comme je le veux, je me sens conditionnée au plus profond de mon être par les traditions, l’éducation et la religion.

Lhumour est très présent dans ce film.C’est une qualité libanaise ou une des vôtres ?

L’autodérision est très présente chez nous. C’est une manière de surmonter tout ce que nous avons vécu. Les Libanaises sont des survivantes. Comme toutes les femmes arabes, elles sont passionnées et dotées d’un fort tempérament. Mais elles refusent de dramatiser et de se laisser emporter par la tristesse. Leur manière de se défendre, c’est de tout tourner en dérision. Lorsqu’on a connu la guerre, comme nous, on relativise beaucoup de choses

Après la guerre de l’été dernier, pourriez-vous écrire le même scénario, aujourd’hui ?

Quand cette guerre a éclaté, je venais à peine de finir le tournage. J’ai connu alors un sentiment de culpabilité très fort : «À quoi rime ce film coloré, qui parle de femmes, d’amour et d’amitié ?». Pour moi, le cinéma devrait remplir une mission et aider à changer les choses. Mais qu’est-ce que mon film allait apporter ou changer ? J’ai même été tentée de tout abandonner. Finalement, je me suis dit que CARAMEL est, une fois encore, une manière de survivre à la guerre, de la dépasser, de la gagner et de se venger. C’est ma révolte à moi et mon engagement. Alors oui, si je devais écrire aujourd’hui ce film, je ferais le même.

Pensez-vous que les relations entre les différentes communautés pourraient s’arranger grâce aux femmes ?

Je crois que oui. Les femmes possèdent plus de passerelles entre elles que les hommes : les enfants, la préservation de la vie, la complicité, les histoires d’amour… musulmanes ou chrétiennes, on ne peut pas nous enlever ça, même sous les bombes. Je crois à l’universalité de ces sentiments